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Quelle est la place de la prophétie aujourd’hui ?

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Dans la conception populaire, un prophète est quelqu’un qui prédit l’avenir. Il convient de rappeler, avant d’aborder notre sujet proprement dit de la prophétie aujourd’hui selon l’enseignement du Nouveau Testament, qu’il n’en est pas ainsi dans la Bible, et d’abord dans l’Ancien Testament.

Le prophète communique les paroles de Dieu

Dans la conception populaire, un prophète est quelqu’un qui prédit l’avenir. Il convient de rappeler, avant d’aborder notre sujet proprement dit de la prophétie aujourd’hui selon l’enseignement du Nouveau Testament, qu’il n’en est pas ainsi dans la Bible, et d’abord dans l’Ancien Testament. Car même s’il arrivait aux prophètes de l’Ancien Testament de prédire certains événements, ce n’était pas là l’essentiel de leur rôle : un prophète était d’abord un porte parole de Dieu. Ainsi, dans le livre de l’Exode, une manière de parler étonnante révèle bien la nature de la fonction prophétique. Dieu déclare à Moïse qu’il sera comme Dieu pour le pharaon et qu’Aaron sera son prophète (Ex 7.1). Ceci est expliqué ensuite : Moïse parlera (de la part de Dieu) et Aaron retransmettra ses paroles au pharaon (v. 2).

Qu’Aaron soit prophète de Moïse signifie donc qu’il lui servira de porte-parole. Un autre texte, parallèle à celui d’Exode 7, décrit le rôle d’Aaron vis-à-vis de Moïse : « Tu lui parleras et tu mettras les paroles en sa bouche… Lui parlera pour toi au peuple, il sera ta bouche et tu seras son Dieu » (Ex 4.15-16). En tant que prophète de Moïse, qui tient ici aussi pour lui la place de Dieu, Aaron devra transmettre au peuple les paroles de Moïse. Il ressort à nouveau que le prophète est celui qui communique les paroles dont Dieu l’a chargé, les paroles même de Dieu. Le prophète apparaît encore ailleurs comme quelqu’un qui a les paroles de Dieu dans sa bouche (Dt 18.18 ; Jr 1.9), autrement dit, comme quelqu’un qui énonce les paroles même de Dieu ; le prophète dit les paroles du Seigneur en son nom (Dt 18.19).

C’est sous l’action de l’Esprit que l’on prophétise : le Saint-Esprit inspire le prophète pour le rendre capable de communiquer exactement la parole de Dieu (2 Pi 1.20-21). Aussi le prophète est-il appelé « l’homme de l’Esprit » (Os 9.7).
Le prophète est donc bien dans l’Ancien Testament un porte-parole de Dieu : il proclame la parole de Dieu. Mais, on va le voir, dans le Nouveau Testament, la catégorie de prophète s’élargit pour englober des activités diverses. Il s’agit toujours d’actes de parole dépendants de l’action du Saint-Esprit, mais de manières plus diversifiées. Ainsi, en milieu chrétien, après la Pentecôte, le terme de prophétie ne vise plus un genre d’activité unique, uniforme, mais il en est venu à désigner un phénomène multiforme, une diversité d’activités, différentes les unes des autres à certains égards.

On peut discerner deux pôles. D’une part, la prophétie apostolique : les apôtres sont prophètes dans le sens le plus fort, d’une manière qui leur est spécifique, et sont à cet égard semblables aux prophètes de l’ancienne alliance. D’autre part, la prophétie comme activité de tout chrétien selon Actes 2.17. Paul peut même désigner un auteur païen, Épiménide, comme un prophète (Tt 1.12), ce qui montre avec quelle souplesse l’apôtre use du terme. Il veut sans doute souligner que, sur le point pour lequel il le cite, cet auteur a vu juste et que cette vérité qu’il a énoncée vient du Saint-Esprit. En effet, toute parcelle de vérité qui subsiste chez un incroyant est l’effet d’une action de l’Esprit qui relève de la grâce commune.

Entre les deux pôles, il y a encore une certaine variété. Nous considérerons tour à tour les différents types.

I. LA PROPHÉTIE APOSTOLIQUE

Les apôtres sont appelés prophètes en Éphésiens 2.20 et 3.5. Dans ces deux textes, l’article n’est pas répété devant le mot ‘prophètes’ (« sur le fondement des apôtres et prophètes », 2.20). Il n’y a pas de règle concernant ce type d’usage de l’article avec deux noms pluriels en grec ; cependant, les habitudes stylistiques de Paul sont à prendre en compte car il semble bien que lorsqu’il ne répète pas l’article dans une construction semblable, les deux noms se rapportent aux mêmes personnes. Par conséquent ici, la construction indique que les prophètes ne sont pas d’autres personnes que les apôtres mais que le mot ‘prophète’ sert à qualifier les apôtres. Ainsi par exemple, au chapitre 4, l’expression semblable « les bergers et enseignants », sans répétition de l’article (v.11), est généralement comprise comme se référant à une seule fonction : cela s’impose car le mot ‘berger’ n’est pas le titre d’une fonction mais sert de métaphore pour les enseignants.

Au contraire, lorsque Paul veut distinguer deux groupes, il fait appel à une construction qui ne laisse aucune ambiguïté, comme c’est le cas pour les apôtres et les prophètes en Éphésiens 4.11, à la différence des textes de 2.20 et 3.5. On a encore confirmation de notre interprétation du fait que les apôtres prophètes sont présentés en Éphésiens 2.20 comme les fondements de l’Église ; car, dans l’Apocalypse, les seuls apôtres sont vus comme les fondements de la nouvelle Jérusalem (21.14). En Éphésiens 2.20, l’addition du mot prophète au titre d’apôtre sert à préciser que c’est de par leur ministère prophétique de prédication de l’Évangile que les apôtres sont les fondements de l’Église1.

Les apôtres sont prophètes dans le sens le plus strict ; ils sont prophètes comme l’étaient les prophètes de l’Ancien Testament. On peut noter que les récits de la conversion de l’apôtre Paul ressemblent fort au récit de la vocation de certains prophètes de l’Ancien Testament2. De même, l’Apocalypse se présente comme une prophétie (1.3 ; 22.7,10,18,19), Jean y est appelé à prophétiser (10.11) et le récit d’Ap 1.9-20, avec la vision du Seigneur et l’ordre de mission (v. 11), ressemble aux récits de la vocation de prophètes de l’Ancien Testament (És 6 ; Éz 1-3). Comme le prophète Ézéchiel, Jean doit avaler le livre contenant les prophéties qu’il va prononcer (10.8-11 ; cp. Éz 2.8-3.3) et mesurer le nouveau Temple de Dieu en construction (Ap 11.1s ; cp. Éz 40ss). De ces diverses manières, Jean se présente très clairement comme un prophète.

La parole apostolique est ainsi assimilée à une parole prophétique. Ce qui veut dire que les apôtres étaient inspirés dans le cadre de leur ministère, et donc que leurs paroles et leurs écrits sont parole de Dieu pleinement vraie (Jn 16.13-15 ; 1 Co 14.37 ; 2 Co 13.3 ; 1 Th 2.13 ; 4.2 ; 1 P 1.12 ; 2 Pi 3.2 ; Ap 1.2 ; 19.9). Les mots mêmes leur étaient donnés par l’Esprit (1 Co 2.13). Leur enseignement est norme de la foi et de la vie pour les chrétiens et les Églises (Jn 17.20 ; 1 Jn 1.1- 5). Il revêt l’autorité même de Dieu (2 Th 2.15 ; 3.6, 14 ; Ap 22.6s). Cet enseignement a été consigné sans erreur dans le Nouveau Testament, grâce auquel nous bénéficions encore aujourd’hui de l’activité prophétique des apôtres. Ils avaient eux seuls autorité pour constituer ce Nouveau Testament qui est clos. Ce type d’activité prophétique est donc unique dans l’histoire de l’Église, ce que suggère bien l’image du fondement.
Le terme de prophète est ainsi utilisé à propos des apôtres dans un sens restreint, qui est en même temps son sens le plus fort

II. LES PROPHÈTES À LA MANIÈRE D’AGABUS

 Deuxièmement, des prophètes comme Agabus ont reçu des révélations précises de Dieu et leur parole était inspirée. Agabus prédit une famine, puis il prédit ce qui va arriver à Paul. Luc, dans le livre des Actes, souligne que c’est le Saint-Esprit qui parle par Agabus (Ac 11.28 ; Ac 21.10-11). Il souligne aussi que les prédictions d’Agabus s’accomplissent et reprend pour cela les termes même de la prédiction sur le sort de l’apôtre Paul (Ac 28.17). La parole d’Agabus est, pour Luc, parole de Dieu.

Ce point mérite une attention particulière car il est contesté. Certains pensent qu’Agabus s’est en partie trompé dans sa prédiction concernant Paul. C’est le cas de Wayne Grudem qui croit déceler deux erreurs dans cette dernière prophétie3. En effet, Agabus, illustrant sa prédiction par un geste symbolique, annonce que les Juifs lieront Paul à Jérusalem. Or ce sont en fait les Romains qui ont enchaîné l’apôtre (Ac 21.33). Agabus déclare aussi que les Juifs le livreront aux non Juifs. Or, en réalité, les Juifs ont cherché à tuer l’apôtre (Ac 21.31) et les Romains ont dû l’arracher aux Juifs par la force (v. 23-35). Grudem en conclut qu’Agabus a reçu une réelle révélation, mais que sa prophétie inclut sa propre interprétation, erronée sur des points de détails, de cette révélation. En rapport avec cette analyse, il faut encore prendre en compte l’exemple de la prophétie des disciples de Tyr. Luc écrit que ceux-ci, « par l’Esprit, disaient à Paul de ne pas monter à Jérusalem » (Ac 21.4). Grudem remarque que Paul ne s’est pas cru tenu d’obéir à cette prophétie. Ici encore, la prophétie comporterait la propre interprétation (erronée) des disciples. Grudem suppose qu’ils ont reçu une révélation selon laquelle Paul souffrirait à Jérusalem et qu’ils y ont ajouté leur propre exhortation à ne pas se rendre en cette ville4.

Je ne pense pas qu’on puisse accepter cette analyse. Dans les deux cas, Luc insiste sur le rôle de l’Esprit. La formule par laquelle Agabus introduit sa prophétie, « Ainsi parle le Saint- Esprit » est équivalente à la formule « Ainsi parle le Seigneur » qui introduit les oracles des prophètes dans l’Ancien Testament ; de la sorte, Luc présente Agabus comme un prophète semblable à ceux de l’Ancien Testament. En outre, Luc reprend les termes de la prophétie pour en souligner l’accomplissement, en faisant dire à Paul que les Juifs l’ont livré aux Romains (Ac 28.17). À ses yeux, Agabus ne s’est pas trompé. Tout ceci montre qu’il considère la prophétie d’Agabus comme les paroles mêmes du Saint-Esprit.

Bien sûr, on pourrait dire que c’est Agabus qui attribue ses propos au Saint-Esprit, et non pas Luc. Mais Agabus est présenté par Luc comme un (vrai) prophète. Or si Grudem a raison, Agabus prononce deux propositions, elles sont toutes les deux fausses, et pourtant il les attribue au Saint- Esprit. Ce n’est pas ce que l’on attendrait d’un vrai prophète. Grudem suppose qu’Agabus a eu une vision et qu’il l’a mal interprétée. Mais dans ce cas, on attendrait d’un bon prophète qu’il se contente de décrire ce qu’il a vu, sans y ajouter des informations qui ne lui auraient pas été communiquées, et, qui plus est, en les attribuant au Saint-Esprit. Sinon, il ne paraît pas très honnête ! Nous avons proposé ailleurs une manière de rendre compte des gestes et des formules d’Agabus qui ne lui impute pas d’erreur5. Disons simplement ici que, pour rendre plus parlante sa prophétie concernant le sort qui attend Paul à Jérusalem, Agabus accomplit un geste symbolique visant à représenter une arrestation. Son but n’était pas de mimer la manière exacte dont les choses allaient se passer, ce qui aurait été difficile et sans intérêt. C’est l’idée générale, illustrée par le geste qui est à retenir : Paul sera arrêté par les Juifs et se trouvera en prison par leur faute. Qu’il ait ensuite été enchaîné par les Romains importait peu. C’est faire preuve d’un littéralisme excessif pour un mime symbolique que d’imputer une erreur à Agabus. Que Luc souligne l’accomplissement de cette prophétie en en reprenant les termes (Ac 28.17) prouve qu’il ne l’a pas lui-même prise à un degré très littéral.

Pour les disciples de Tyr, c’est Luc qui déclare que les disciples ont dit à Paul, par l’Esprit, de ne pas monter à Jérusalem (Ac 21.4). Il aurait pu écrire quelque chose comme : « Avertis par l’Esprit que Paul devait souffrir à Jérusalem, les disciples lui dirent de ne pas y monter ». La formulation de Luc suggère au contraire que l’Esprit voulait que les disciples fassent à Paul la recommandation qu’ils lui ont adressée. Plutôt que de dire qu’ils se sont trompés, il nous faut nous interroger sur la nature, ou la fonction, de leur parole. Il ne s’agit pas nécessairement d’un impératif. On peut par exemple penser que Dieu a voulu donner à Paul l’occasion d’affirmer le caractère volontaire de sa démarche, en pleine connaissance de cause. Se rendre à Jérusalem n’était pas là simplement quelque chose que Dieu lui imposait, mais cela relevait du choix de Paul, de sa pleine et entière décision. Ces recommandations des disciples, voulues par Dieu, fournissaient à l’apôtre l’occasion de mûrir sa décision. Cela devait lui permettre de mieux l’assumer par la suite : lorsque Paul devrait affronter les souffrances, se souvenir qu’il s’était engagé de plein gré sur cette voie pourrait l’aider à les supporter.

Il semble donc qu’avec Agabus, on a un type de prophétie qui implique la réception de révélations par lesquelles Dieu communique des informations au prophète, et l’apport d’une parole qui vient de Dieu, comme c’était le cas pour les prophètes de l’Ancien Testament.
Ceci dit, il y a des différence importantes entre le ministère prophétique des apôtres et celui d’Agabus. La prophétie à la manière d’Agabus diffère de celle des apôtres par sa visée et son contenu. La prophétie apostolique apporte un enseignement au contenu doctrinal et éthique, fruit de l’inspiration, qui concerne et fait autorité pour l’Église de tous les temps et de tous les lieux. Les prophéties d’Agabus apportaient des révélations qui ne concernaient quant à elles que des personnes particulières, en visant leurs circonstances particulières à un moment donné : elles ne nous concernent pas nous. Contrairement à la prophétie apostolique, ce type de prophétie n’est pas à inclure dans le canon biblique (les prophéties d’Agabus ne sont reprises par Luc qu’à titre d’éléments informatifs historiques dans son récit).

L’activité des prophètes d’Antioche (Ac 13.1) et celle des quatre filles de Philippe (Ac 21.9) se rangent peut-être dans la même catégorie que les prophéties d’Agabus, sans qu’on puisse en être sûr. C’est en particulier le cas si c’est par les prophètes d’Antioche que le Saint-Esprit a communiqué l’ordre de mission de Paul et Barnabas (Ac 13.1-2), mais cela n’est pas dit explicitement dans le texte. On peut peut-être aussi ajouter ici la prophétie sur la base de laquelle Timothée a été consacré au ministère (1 Tm 4.14).

III. LA PROPHÉTIE DANS LES ÉGLISES DU NOUVEAU TESTAMENT

Troisièmement, on voit apparaître dans les Églises du Nouveau Testament un ministère prophétique beaucoup plus courant. Paul nous apprend qu’une activité nommée prophétie avait sa place dans la vie des Églises du Nouveau Testament, notamment au cours de leurs réunions (Rm 12.6 ; 1 Co 12-14 ; Ép 4.11 ; 1 Th 5.20s). Il semble s’agir d’une activité plus courante, à Corinthe en tout cas, que celle des prophètes comme Agabus. En effet, elle est mentionnée à côté de la prière (1 Co 11.5) et il s’agit d’une activité pratiquée de manière habituelle lors du culte. Paul voit même le besoin de limiter à deux ou trois les interventions de prophètes au cours d’une même réunion, ce qui indique qu’elles avaient tendance à se multiplier (1 Co 14.29-30). Cothenet note que ces prophéties ne sont pas là nécessairement le fait d’un groupe déterminé de prophètes, investis d’un ministère prophétique officiel, mais sont sans doute apportées par divers membres de la communauté6. En même temps, ce n’est pas une activité à laquelle tous les membres de la communauté prennent part : tous ne sont pas prophètes en ce sens (1 Co 12.29).

Pour ce qui est de leur contenu, il s’agit de paroles qui édifient, exhortent, encouragent (14.3), instruisent (14.19,31 et cf. v. 6). Cela n’indique pas grand chose quant à la nature du phénomène, car toute parole d’exhortation, d’encouragement ou d’instruction n’est pas nécessairement une prophétie. Dans le contexte corinthien, il n’est en tout cas pas question de prédictions du genre de celles qu’apportait Agabus. Un certain nombre d’indices montrent que cette prophétie en Église a un statut inférieur à la prophétie apostolique ou à une communication directe de la part de Dieu :

  • 1) En Romains 12.6b, Paul recommande à ceux qui ont pour ministère la prophétie d’exercer ce ministère « selon l’analogie de la foi », une expression qui signifie : en accord avec la doctrine chrétienne (la Bible du Semeur traduit : « en accord avec notre foi commune »). Autrement dit, le prophète doit exercer un contrôle doctrinal sur sa parole. S’il recevait sa parole directement de Dieu, il n’aurait pas besoin d’exercer ce contrôle. Il s’agit plutôt, semble-t-il, d’une parole qui ne s’impose pas au prophète avec une pleine autorité, mais sur laquelle il doit exercer un certain contrôle pour veiller à son orthodoxie. C’est une parole qui risque de ne pas être en accord avec la doctrine vraie, et donc une parole qui n’est pas infaillible.
  • 2) La parole des prophètes doit être soumise à évaluation (1 Co 14.29). Cette évaluation peut avoir pour but de déterminer si la prophétie vient authentiquement de Dieu ou non, mais il peut aussi s’agir d’un tri à effectuer au sein même d’une prophétie, pour n’en conserver que ce qui est bon (1 Th 5.19-21). Lorsqu’Ésaïe ou Jérémie parlaient de la part de Dieu, ou encore lorsqu’un apôtre enseignait, on devait se soumettre à leur parole de manière inconditionnelle. Nous avons vu que la parole apostolique doit être reçue sans réserve, elle s’impose aux auditeurs comme une Parole de Dieu qui demande une soumission inconditionnelle et ne souffre aucune remise en question (Ga 1.8s ; 2 Th 2.15 ; 3.6, 14 ; Ap 22.6s). Il en va autrement ici. Même les prophéties d’Agabus n’ont pas fait l’objet d’une évaluation mais ont été reçues comme Parole de Dieu. Cela suppose vraisemblablement qu’Agabus était depuis longtemps reconnu comme un vrai prophète, énonçant des messages de la part de Dieu. Peut-être parce qu’on avait constaté antérieurement que ses prédictions se réalisaient.
  • 3) Aux chrétiens de Corinthe (1 Co 14.29-32), Paul recommande de limiter à deux ou trois les prises de parole des prophètes au cours d’une réunion de l’Église. En outre, un prophète doit s’interrompre si un autre veut prendre la parole. Si un prophète est en train de transmettre une communication qu’il a reçue directement de Dieu, on imagine mal qu’on puisse l’inviter à se taire pour laisser parler quelqu’un d’autre. Paul n’aurait certainement pas la même attitude vis-à-vis de la parole apostolique, vu l’autorité qu’il lui attribue, et l’on ne conçoit guère qu’il recommande ainsi de se taire à quelqu’un qui, comme Agabus, apporterait une révélation qui se présente comme déclaration du Saint-Esprit.
  • 4) La parole de l’apôtre prime sur celle des prophètes. Les prophètes doivent se soumettre à la parole apostolique (1 Co 14.37). C’est donc que leur parole a un statut inférieur à celle des apôtres. Il est vrai que Paul utilise à propos de l’activité prophétique à Corinthe le terme de ‘révélation’ (1 Co 14.30). Mais il ne faut pas s’y tromper. Par révélation, on entend couramment une communication directe faite par Dieu à un individu. Mais dans le Nouveau Testament, le mot se réfère à des types plus divers d’expérience. Il peut certes désigner la réception d’une communication directe de la part de Dieu, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, au cours de son ministère, Jésus a adressé cette prière à Dieu :

« Je te loue, ô Père, de ce que tu as caché ces vérités aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées à ceux qui sont tout petits ». Matthieu : 11.25

  • En utilisant le verbe révéler, Jésus ne veut pas dire que Dieu a parlé directement à ceux qu’il désigne comme les « tout petits » et qu’il n’a pas parlé directement « aux sages et aux intelligents ». En fait, les uns comme les autres ont été exposés à la parole de Dieu par l’enseignement de Jésus. La différence entre ces deux groupes a résidé dans la manière dont l’enseignement de Jésus a été perçu et reçu par les uns et par les autres. Les sages et les intelligents, c’est-à-dire les gens instruits, n’ont pas reconnu la véracité de l’enseignement de Jésus, ils n’ont pas reconnu que cet enseignement venait de Dieu même, et ils l’ont rejeté. Tandis que les « tout petits », les gens sans grande instruction, ont reconnu la véracité de cet enseignement, l’ont reçu avec foi, en ont tiré les implications pour eux-mêmes et pour leur vie, et sont ainsi venus au bénéfice de l’oeuvre de Christ. Le verbe révéler se réfère ici à l’action de Dieu pour que ces « tout-petits » reçoivent la parole de Jésus avec foi.

En Éphésiens 1.17 de même, dans la prière qu’il adresse à Dieu pour ses lecteurs, Paul emploie le mot « révélation ». Mais ce qu’il entend par là n’est pas une communication directe reçue par chacun de ses lecteurs de la part de Dieu. En effet, le but de cette révélation est une meilleure connaissance de Dieu, une meilleure compréhension et assimilation du contenu de notre espérance, et de la puissance que Dieu a mise en oeuvre en ressuscitant Jésus-Christ (Ép 1.17-20). Tout cela, les lecteurs de Paul ne l’ont pas appris par une communication directe de la part de Dieu. Mais ils en ont connaissance par l’Ancien Testament et par l’enseignement de l’apôtre relayé par ses disciples. La révélation dont Paul parle ici, c’est cette oeuvre du Saint-Esprit qui fait reconnaître l’enseignement biblique et l’enseignement apostolique comme vrai, comme parole de Dieu, qui fait qu’on y adhère avec foi, qu’on le reçoit pour soi, qu’on se l’approprie pour en tirer les implications pour soi. À partir de ce texte, on utilise en théologie le terme d’illumination pour désigner ce type d’oeuvre de l’Esprit (« qu’il illumine votre intelligence », Ép 1.18).

Il est important de prendre en compte cet usage du mot « révélation » dans le Nouveau Testament, et en particulier chez Paul dans l’Epître aux Éphésiens, pour bien comprendre en quoi consiste l’activité prophétique mentionnée en 1 Corinthiens. Lorsque Paul parle de révélation dans ce contexte, il ne pense pas nécessairement à la réception par le prophète d’une communication venant directement de Dieu. Les quatre considérations que nous avons fait valoir ci-dessus favorisent au contraire un sens plus faible7. Le mot « révélation » en rapport avec la prophétie en 1 Corinthiens 14 doit s’entendre comme une compréhension ou perception particulière de quelque chose, sans que cela implique une communication directe de la part de Dieu. Cette compréhension ou cette perception sont produites par l’action de l’Esprit. Mais cette action relève de l’illumination et non pas de l’inspiration. C’est une forme particulière d’illumination, à un degré plus élevé que dans l’ordinaire de l’ensemble des chrétiens. Suite et fin dans le prochain numéro.

Troisièmement, on voit apparaître dans les Églises du Nouveau Testament un ministère prophétique beaucoup plus courant. Paul nous apprend qu’une activité nommée prophétie avait sa place dans la vie des Églises du Nouveau Testament, notamment au cours de leurs réunions (Rm 12.6 ; 1 Co 12- 14 ; Ép 4.11 ; 1 Th 5.20s). Il semble s’agir d’une activité plus courante, à Corinthe en tout cas, que celle des prophètes comme Agabus. En effet, elle est mentionnée à côté de la prière (1 Co 11.5) et il s’agit d’une activité pratiquée de manière habituelle lors du culte. Paul voit même le besoin de limiter à deux ou trois les interventions de prophètes au cours d’une même réunion, ce qui indique qu’elles avaient tendance à se multiplier (1 Co 14.29-30). Cothenet note que ces prophéties ne sont pas là nécessairement le fait d’un groupe déterminé de prophètes, investis d’un ministère prophétique officiel, mais sont sans doute apportées par divers membres de la communauté1. En même temps, ce n’est pas une activité à laquelle tous les membres de la communauté prennent part : tous ne sont pas prophètes en ce sens (1 Co 12.29).Pour ce qui est de leur contenu, il s’agit de paroles qui édifient, exhortent, encouragent (14.3), instruisent (14.19,31 et cf. v. 6). Cela n’indique pas grand chose quant à la nature du phénomène, car toute parole d’exhortation, d’encouragement ou d’instruction n’est pas nécessairement une prophétie. Dans le contexte corinthien, il n’est en tout cas pas question de prédictions du genre de celles qu’apportait Agabus. Un certain nombre d’indices montrent que cette prophétie en Église a un statut inférieur à la prophétie apostolique ou à une communication directe de la part de Dieu :

  • 1) En Romains 12.6b, Paul recommande à ceux qui ont pour ministère la prophétie d’exercer ce ministère « selon l’analogie de la foi », une expression qui signifie : en accord avec la doctrine chrétienne (la Bible du Semeur traduit : « en accord avec notre foi commune »). Autrement dit, le prophète doit exercer un contrôle doctrinal sur sa parole. S’il recevait sa parole directement de Dieu, il n’aurait pas besoin d’exercer ce contrôle. Il s’agit plutôt, semble-t-il, d’une parole qui ne s’impose pas au prophète avec une pleine autorité, mais sur laquelle il doit exercer un certain contrôle pour veiller à son orthodoxie. C’est une parole qui risque de ne pas être en accord avec la doctrine vraie, et donc une parole qui n’est pas infaillible.
  • 2) La parole des prophètes doit être soumise à évaluation (1 Co 14.29). Cette évaluation peut avoir pour but de déterminer si la prophétie vient authentiquement de Dieu ou non, mais il peut aussi s’agir d’un tri à effectuer au sein même d’une prophétie, pour n’en conserver que ce qui est bon (1 Th 5.19-21). Lorsqu’Ésaïe ou Jérémie parlaient de la part de Dieu, ou encore lorsqu’un apôtre enseignait, on devait se soumettre à leur parole de manière inconditionnelle. Nous avons vu que la parole apostolique doit être reçue sans réserve, elle s’impose aux auditeurs comme une Parole de Dieu qui demande une soumission inconditionnelle et ne souffre aucune remise en question (Ga 1.8s ; 2 Th 2.15 ; 3.6, 14 ; Ap 22.6s). Il en va autrement ici. Même les prophéties d’Agabus n’ont pas fait l’objet d’une évaluation mais ont été reçues comme Parole de Dieu. Cela suppose vraisemblablement qu’Agabus était depuis longtemps reconnu comme un vrai prophète, énonçant des messages de la part de Dieu. Peut-être parce qu’on avait constaté antérieurement que ses prédictions se réalisaient.
  • 3) Aux chrétiens de Corinthe (1 Co 14.29-32), Paul recommande de limiter à deux ou trois les prises de parole des prophètes au cours d’une réunion de l’Église. En outre, un prophète doit s’interrompre si un autre veut prendre la parole. Si un prophète est en train de transmettre une communication qu’il a reçue directement de Dieu, on imagine mal qu’on puisse l’inviter à se taire pour laisser parler quelqu’un d’autre. Paul n’aurait certainement pas la même attitude vis-à-vis de la parole apostolique, vu l’autorité qu’il lui attribue, et l’on ne conçoit guère qu’il recommande ainsi de se taire à quelqu’un qui, comme Agabus, apporterait une révélation qui se présente comme déclaration du Saint- Esprit.
  • 4) La parole de l’apôtre prime sur celle des prophètes. Les prophètes doivent se soumettre à la parole apostolique (1 Co 14.37). C’est donc que leur parole a un statut inférieur à celle des apôtres.

Il est vrai que Paul utilise à propos de l’activité prophétique à Corinthe le terme de ‘révélation’ (1 Co 14.30). Mais il ne faut pas s’y tromper. Par révélation, on entend couramment une communication directe faite par Dieu à un individu. Mais dans le Nouveau Testament, le mot se réfère à des types plus divers d’expérience. Il peut certes désigner la réception d’une communication directe de la part de Dieu, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, au cours de son ministère, Jésus a adressé cette prière à Dieu : « Je te loue, ô Père, de ce que tu as caché ces vérités aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées à ceux qui sont tout petits » (Mt 11.25). En utilisant le verbe révéler, Jésus ne veut pas dire que Dieu a parlé directement à ceux qu’il désigne comme les « tout petits » et qu’il n’a pas parlé directement « aux sages et aux intelligents ». En fait, les uns comme les autres ont été exposés à la parole de Dieu par l’enseignement de Jésus. La différence entre ces deux groupes a résidé dans la manière dont l’enseignement de Jésus a été perçu et reçu par les uns et par les autres. Les sages et les intelligents, c’est-à-dire les gens instruits, n’ont pas reconnu la véracité de l’enseignement de Jésus, ils n’ont pas reconnu que cet enseignement venait de Dieu même, et ils l’ont rejeté. Tandis que les « tout petits », les gens sans grande instruction, ont reconnu la véracité de cet enseignement, l’ont reçu avec foi, en ont tiré les implications pour euxmêmes et pour leur vie, et sont ainsi venus au bénéfice de l’oeuvre de Christ. Le verbe révéler se réfère ici à l’action de Dieu pour que ces « toutpetits » reçoivent la parole de Jésus avec foi.

En Éphésiens 1.17 de même, dans la prière qu’il adresse à Dieu pour ses lecteurs, Paul emploie le mot « révélation ». Mais ce qu’il entend par là n’est pas une communication directe reçue par chacun de ses lecteurs de la part de Dieu. En effet, le but de cette révélation est une meilleure connaissance de Dieu, une meilleure compréhension et assimilation du contenu de notre espérance, et de la puissance que Dieu a mise en oeuvre en ressuscitant Jésus-Christ (Ép 1.17- 20). Tout cela, les lecteurs de Paul ne l’ont pas appris par une communication directe de la part de Dieu. Mais ils en ont connaissance par l’Ancien Testament et par l’enseignement de l’apôtre relayé par ses disciples. La révélation dont Paul parle ici, c’est cette oeuvre du Saint-Esprit qui fait reconnaître l’enseignement biblique et l’enseignement apostolique comme vrai, comme parole de Dieu, qui fait qu’on y adhère avec foi, qu’on le reçoit pour soi, qu’on se l’approprie pour en tirer les implications pour soi. À partir de ce texte, on utilise en théologie le terme d’illumination pour désigner ce type d’oeuvre de l’Esprit (« qu’il illumine votre intelligence », Ép 1.18).

 Il est important de prendre en compte cet usage du mot « révélation » dans le Nouveau Testament, et en particulier chez Paul dans l’Epître aux Éphésiens, pour bien comprendre en quoi consiste l’activité prophétique mentionnée en 1 Corinthiens. Lorsque Paul parle de révélation dans ce contexte, il ne pense pas nécessairement à la réception par le prophète d’une communication venant directement de Dieu. Les quatre considérations que nous avons fait valoir ci-dessus favorisent au contraire un sens plus faible2. Le mot « révélation » en rapport avec la prophétie en 1 Corinthiens 14 doit s’entendre comme une compréhension ou perception particulière de quelque chose, sans que cela implique une communication directe de la part de Dieu. Cette compréhension ou cette perception sont produites par l’action de l’Esprit. Mais cette action relève de l’illumination et non pas de l’inspiration. C’est une forme particulière d’illumination, à un degré plus élevé que dans l’ordinaire de l’ensemble des chrétiens.

La thèse de Wayne Grudem

Il faut encore mentionner ici la thèse de W. Grudem3. Pour ce théologien, une prophétie est basée sur une révélation et est communiquée à d’autres. Le terme de révélation peut avoir un sens large, comme nous venons de le signaler. Dans le cas de la prophétie, Grudem pense que la révélation peut simplement consister en quelque chose que Dieu « fait venir spontanément à l’esprit » du prophète et que le prophète rapportera ensuite dans ses propres termes. Ainsi, sa parole ne doit pas être considérée comme Parole de Dieu mot pour mot. De plus, il considère que le prophète peut mal interpréter la révélation et donc que la prophétie peut être plus ou moins entachée d’erreur. Timothée Minard reprend aussi ce point en l’appuyant sur 1 Corinthiens 13.12, où il remarque que l’expression « au moyen d’un miroir » se dit en ainigmati qui pourrait signifier « par énigme ». Il souligne alors que la révélation peut être difficile à comprendre pour le prophète4.

Grudem s’appuie sur les indices que nous avons relevés en 1 Corinthiens 14 et qui montrent que la prophétie corinthienne a un statut inférieur à celui de la parole apostolique. Il en déduit qu’une prophétie de ce type n’a pas l’autorité de Dieu et n’exige pas l’obéissance. Grudem cite encore la prophétie d’Agabus qui, selon lui, ne se serait pas réalisée (Ac 21.10-11) et la prophétie des disciples de Tyr à laquelle Paul ne se serait nullement senti tenu d’obéir (Ac 21.4). Grudem prend l’exemple d’une prophétie selon laquelle telle jeune fille devrait épouser tel jeune homme : selon lui, la jeune fille n’est pas tenue d’y obéir5.

La thèse de Grudem a le mérite d’attirer l’attention sur le statut de la prophétie en 1 Corinthiens 14, en particulier sur la manière dont elle diffère de la prophétie apostolique. Mais la synthèse théologique des données du Nouveau Testament effectuée par Grudem pose divers problèmes.

Tout d’abord, s’il y a révélation réelle de la part de Dieu, avec un contenu informatif, ce qui est révélé doit être obéi et a l’autorité de Dieu. Ce que Dieu « fait venir à l’esprit » du prophète a l’autorité de Dieu et le prophète devrait s’en tenir, dans sa communication prophétique, au contenu informatif donné par Dieu. La prophétie selon laquelle telle jeune fille devrait épouser tel jeune homme, ou bien vient de Dieu et la jeune fille doit y obéir, ou bien elle n’est pas tenue d’y obéir et il n’y a pas lieu de parler de révélation ou de « ce que Dieu fait venir à l’esprit d’un prophète ». Dans un cas comme celuilà, la distinction établie par Grudem entre une révélation ayant pleine autorité et une révélation à laquelle on n’est pas tenu d’obéir paraît artificielle. Pour le dire autrement : ou bien Dieu a révélé au prophète que la jeune fille doit épouser le jeune homme et elle est tenue d’obéir. Ou bien le prophète a réfléchi à la situation de la jeune fille en mettant en oeuvre son intelligence et sa sagesse particulière sous la direction du Saint-Esprit (donc cela ne lui vient pas spontanément) et il formulera un simple conseil à l’adresse de la jeune fille, par exemple : « As-tu pensé à ce jeune homme ? ». Il vaudrait d’ailleurs mieux qu’il s’adresse au jeune homme, en lui disant : « As-tu pensé à cette jeune fille ? ». Mais alors il ne dira pas à la jeune fille : « Dieu m’a fait venir à l’esprit cette pensée que tu devrais épouser ce jeune homme ».

De son côté, Henri Blocher a aussi critiqué Grudem pour l’idée selon laquelle la prophétie à la corinthienne consisterait en quelque chose que Dieu fait venir spontanément à l’esprit : « L’accent sur le caractère spontané se justifie difficilement par le Nouveau Testament, qui ne le met jamais en relief »6.

Dans la pratique, Grudem risque de verser dans un dangereux mysticisme. Ainsi lorsqu’il recommande de rester en attente et de se mettre de la sorte à l’écoute de Dieu pour recevoir ce qu’il pourrait « faire venir à l’esprit »7.

 Nous avons discuté dans la première partie de cet article de l’analyse que fait Grudem de la prophétie en Actes 21. Si nos conclusions sont justes, la faille principale dans l’étude de Grudem consiste dans l’amalgame de tous les textes relatifs à la prophétie non apostolique dans le Nouveau Testament, sans distinguer au moins deux catégories différentes, la prophétie à la manière d’Agabus, et celle dont Paul parle en 1 Corinthiens 14 et 1 Thessaloniciens 5. La prophétie à la manière d’Agabus est plutôt à nos yeux communication inspirée, mais non canonique, de révélations spéciales. Dans les épîtres pauliniennes, il s’agit d’autre chose.

De même, lorsque Timothée Minard cite 1 Corinthiens 13, il convient de noter que ce texte ne parle pas de révélation au sens strict du terme. Paul y traite de notre connaissance et de la prophétie, non pas d’une révélation au sens d’une communication directe de la part de Dieu. Chez Minard, la différence n’est pas suffisamment faite entre les deux.

Autres caractéristiques de la prophétie en Église

Paul souligne le caractère intelligible de la prophétie, ce qui la distingue du parler en langues (1 Co 14.1-19). Dieu n’est pas un dieu de désordre et, par conséquent, l’esprit du prophète est soumis au prophète, le prophète demeure maître de lui et est capable de se taire pour laisser parler d’autres (1 Co 14.30-33). Un prophète ne doit pas monopoliser la parole à lui seul. Comme déjà souligné, cela en dit long sur la nature de la prophétie : ce n’est pas une parole impérieuse ; elle ne s’impose ni au prophète, ni aux auditeurs.

Peut-on préciser la nature de l’activité prophétique en Église ?

Quelle est la nature de cette activité prophétique qui se déroule dans les Églises ? Il faut noter que la prophétie est souvent associée ou assimilée dans le Nouveau Testament à une forme d’enseignement (Ac 13.1). D’ailleurs, les faux prophètes du Nouveau Testament sont des gens qui enseignent de fausses doctrines et entraînent les chrétiens au mal, ou aux compromis avec le monde corrompu (2 P 2.1 ; 1 Jn 4.1-6 ; Ap 2.20). Par opposition, les bons prophètes sont ceux qui apportent un message selon la vérité et stimulent les chrétiens à la fidélité et à l’obéissance à Dieu. Il n’y a ainsi pas une différence très tranchée entre prophétie et enseignement. Le prophète instruit (1 Co 14.31). Les deux activités se chevauchent, se recoupent. Mais, sans doute, tandis que l’enseignement est plus axé vers l’explication des textes bibliques et l’exposition de la doctrine, la prophétie est davantage axée sur l’application concrète et pratique. En effet, comme les prophètes de l’ancienne alliance actualisaient la loi mosaïque et l’appliquaient à la situation de leurs contemporains pour les appeler à l’obéissance à Dieu dans leur situation concrète, les prophètes des Églises du Nouveau Testament indiquaient comment appliquer l’enseignement scripturaire et apostolique aux situations concrètes de leurs auditeurs.

La prophétie est d’ailleurs parfois définie comme encouragement et exhortation. Ainsi, Jude et Silas, en tant que prophètes, ont exhorté et affermi les frères par de nombreux discours (Ac 15.32). Un élément mérite d’être ici remarqué : la signification donnée dans le livre des Actes pour le nom de Barnabas. Cette forme du nom hellénisée renvoie à l’araméen bar qui signifie « fils » et nabî’, le traduit par « fils d’encouragement » ou « fils d’exhortation » (Ac 4.36), ce qui donne une idée du sens large qu’avait pris le terme « prophète » parmi les chrétiens à l’époque du Nouveau Testament. De même, la prophétie en Église est présentée comme une parole qui édifie, exhorte, encourage (1 Co 14.3), et comme stimulant les auditeurs dans la foi (1 Co 14.31).

On peut donc penser que la prophétie en Église consiste avant tout en l’apport d’une parole qui applique l’enseignement apostolique ou scripturaire à la situation particulière des auditeurs avec un à-propos et une pertinence accrue. Ce pour exhorter les auditeurs ou les encourager, ou encore les reprendre, suivant les besoins. Le prophète est alors quelqu’un qui, grâce à l’oeuvre de l’Esprit en lui, a une sagesse particulière, une compréhension de l’Écriture, une intelligence des situations concrètes, et une bonne part d’intuition qui lui permettent de discerner comment appliquer l’Écriture aux situations concrètes de l’existence, quelle ligne de conduite adopter pour faire la volonté de Dieu dans telles circonstances, quel chemin emprunter pour dépasser des situations bloquées, ou encore qui lui permettent de trouver la parole qui va aider au bon moment, qui va encourager, relever la personne abattue, ou motiver les gens à l’obéissance à Dieu.

La prophétie n’est donc pas l’apport par un prophète de ce que Dieu lui fait venir spontanément à la pensée, interprété et retransmis plus ou moins correctement, comme le veut Grudem, mais elle est mise en oeuvre de la sagesse.

Paul envisage qu’un incroyant présent dans l’assemblée voit les secrets de son coeur dévoilés par la parole des prophètes (1 Co 14.24s) et l’on comprend parfois que le prophète lit dans les coeurs. Je crois plutôt qu’il est ici question de la seule efficacité de la prédication prophétique qui oblige l’incroyant à s’examiner luimême. Autrement dit, sans que les pensées du coeur de l’auditeur soient nécessairement révélées au prophète, celui-ci prononce un discours particulièrement approprié à la situation de l’auditeur, qui le touche profondément et lui montre de manière très claire son besoin de conversion. Il n’y a donc pas nécessairement révélation spéciale mais simplement une perception aiguisée de ce qu’il est approprié de dire dans les circonstances dans lesquelles on se trouve.

IV. Tous prophètes

Dans quelques textes, tous les croyants sont considérés comme des prophètes (Ac 2.17s ; Ap 11.3- 10). Ils le sont en tant que témoins de Jésus-Christ. Dans la mesure où nous proclamons fidèlement le message de l’Évangile tel que nous le recevons des apôtres, nous faisons office de porte-parole de Dieu. Cela ne signifie pas que nous soyons inspirés et que notre parole soit infaillible. Mais lorsque nous annonçons l’Évangile dans la fidélité à l’Écriture, c’est bien la Parole de Dieu que nous proclamons. Nous sommes donc prophètes dans un sens large.

De même, lorsque nous utilisons la parole de Dieu consignée dans la Bible pour encourager d’autres chrétiens, les exhorter, les stimuler à aller de l’avant dans la foi, et nous sommes tous appelés à faire cela les uns pour les autres de manière informelle, nous jouons un rôle prophétique. À côté de ceux dont c’est le ministère particulier et qui sont particulièrement doués pour cela, nous sommes tous appelés à jouer ce rôle (Rm 15.14 ; Col 3.16 ; 1 Th 4.18 ; 5.11 ; Hé 3.13 ; 10.24).

Notre rôle prophétique est dérivé de la fonction prophétique des apôtres et des prophètes de l’Ancien Testament : c’est dans la mesure où nous reprenons fidèlement leur parole pour l’appliquer en notre temps que notre parole peut être prophétique (au sens large)8.

Conclusion

La prophétie qui dépend d’une révélation et communique des informations reçues directement de Dieu par le prophète demeure sans doute exceptionnelle : nous avons normalement dans les écrits canoniques tout ce qu’il nous faut pour notre enseignement et pour que nous soyons équipés et préparés en vue de toute oeuvre bonne (2 Tm 3.16-17). Il est probable que la prophétie de type corinthien soit ce qui se rencontre le plus souvent de nos jours et ce que l’on est en droit d’attendre avant tout.

Le prophète, c’est, comme nous l’avons déjà dit, celui qui a une sagesse particulière, une intuition, une intelligence de la situation concrète qui lui permettent de discerner comment appliquer l’Écriture aux situations concrètes de l’existence, quelle ligne de conduite adopter pour faire la volonté de Dieu dans telle situation, qui lui permet aussi de trouver la parole qui va aider au bon moment. Le prophète, c’est l’homme ou la femme des paroles qui tombent à pic. Les prophéties, ce sont donc par exemple ces paroles de sagesse, ces exhortations qui tombent à point nommé, ces encouragements qui relèvent la personne abattue et la stimule à aller de l’avant, ces paroles qui font repartir la personne qui était en panne. Ce sont aussi ces suggestions qui permettent de débloquer des situations difficiles ou de découvrir un chemin à suivre auquel on n’avait pas pensé. Les comités de missions ou d’oeuvres, ou les réunions de conseil d’Églises sont des lieux où ce ministère est souvent précieux (cette remarque me vient d’Henri Blocher). La prophétie, c’est encore ce qui se produit lorsqu’un prédicateur apporte son message et qu’ensuite, quelqu’un vient lui dire : « C’était exactement ce dont j’avais besoin », ou encore : « Ton message m’a remis en question ; je vais changer tel comportement, telle manière d’agir, ou régler tel problème ». Le prophète, c’est celui qui sait discerner les besoins de l’Église et apporter une parole qui réponde à ce besoin. C’est celui ou celle qui va savoir motiver les gens pour les amener à obéir à la volonté de Dieu, ou les amener à s’engager dans tel projet pour Dieu. On n’appelle plus cela prophétie de nos jours et cela donne l’illusion qu’il n’y a plus de prophétie dans nos Églises. Mais c’est parce que l’on a une conception déformée de ce qu’est la prophétie. La prophétie existe toujours parmi nous, même si nous ne l’appelons plus « prophétie ».

L’activité prophétique n’est pas nécessairement un ministère officiel ou reconnu. Ce n’était pas nécessairement le cas à Corinthe. Le ministère prophétique s’exerce souvent dans la relation d’un à un entre membres de l’Église, ou auprès d’un incroyant.

 Le ministère prophétique a parfois été assumé par des femmes : l’Ancien Testament offre l’exemple de Myriam, Déborah et Houlda et le Nouveau Testament celui des quatre filles de Philippe, et il est question de femmes qui prophétisent en Actes 2.18 et 1 Corinthiens 11.5.

On comprend bien pourquoi le ministère prophétique occupe le deuxième rang en importance, après le ministère apostolique, dans la pensée de Paul (1 Co 12.28) : c’est parce qu’il vise directement l’application concrète, dans la vie de tous les jours, de l’enseignement apostolique. Or la parole apostolique, la parole de Dieu est une parole à vivre, et pas seulement une parole à assimiler intellectuellement.

 Donc, si nous comprenons bien ce qu’était la prophétie dans ces communautés de l’époque apostolique, l’Esprit oeuvre encore de nos jours en suscitant des prophètes parmi nous. Heureusement !


NOTES

1 Nous suivons ici É. Cothenet et W. Grudem qui consacrent tous deux une discussion détaillée à ce point : É. Cothenet « Prophétisme et Nouveau Testament », Supplément au Dictionnaire de la Bible, sous la direction de H. Cazelles et A. Feuillet, Paris, Letouzey et Ané, Fascicule 47, 1972, col. 1306- 1308 ; Wayne Grudem, The Gift of Prophecy in the New Testament Today, Wheaton, Crossway Books, 1988, p. 45-63.

2 Ainsi David Aune, Prophecy in Early Christianity and the Ancient Mediterranean World, Grand Rapids, Eerdmans, 1983, p. 202.

3 The Gift of Prophecy in the New Testament Today, p. 96ss.

4 The Gift of Prophecy in the New Testament Today, p. 93ss.

5 « La prophétie dans l’Écriture », Hokhma, 72 (1999), p. 42-45.

6 « Prophétisme et Nouveau Testament », col. 1296.

7 Nous ne pouvons donc pas suivre Timothée Minard (« La prophétie chrétienne dans le Nouveau Testament : l’état de la question », Théologie Évangélique, vol. 12, n° 1, 2013, p. 23, 27-28, 38, 40) lorsqu’il définit la prophétie chrétienne comme « l’acte de transmettre, sous la forme d’un message intelligible, une révélation inspirée par l’Esprit du Dieu de Jésus-Christ » : cette définition est trop restrictive en ce qu’elle ne correspond pas à tous les types d’activités prophétiques que l’on rencontre dans le Nouveau Testament, et notamment pas à la prophétie en Église.

1 « Prophétisme et Nouveau Testament », col. 1296.

2 Nous ne pouvons donc pas suivre Timothée Minard (« La prophétie chrétienne dans le Nouveau Testament : l’état de la question », Théologie Évangélique, vol. 12, n° 1, 2013, p. 23, 27-28, 38, 40) lorsqu’il définit la prophétie chrétienne comme « l’acte de transmettre, sous la forme d’un message intelligible, une révélation inspirée par l’Esprit du Dieu de Jésus-Christ » : cette définition est trop restrictive en ce qu’elle ne correspond pas à tous les types d’activités prophétiques que l’on rencontre dans le Nouveau Testament, et notamment pas à la prophétie en Église.

3 Wayne Grudem, The Gift of Prophecy in the New Testament Today, Wheaton, Crossway Books, 1988.

4 Timothée Minard, « L’inspiration de la prophétie dans l’Église : les données de la 1ère aux Corinthiens », p. 124-125.

5 The Gift of Prophecy in the New Testament Today, p. 167.

6 Henri Blocher, « La place de la prophétie dans la pneumatologie », Hokhma, 72 (1999), p. 96-97.

7 The Gift of Prophecy in the New Testament Today, p. 132.

8 Nous avons traité ce point de manière développée dans L’oeuvre du Saint-Esprit dans l’histoire du salut, Cléon d’Andran, Excelsis § Institut Biblique de Nogent-sur- Marne, 2005, p. 154-162.

 

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