Article 4 – Le péché (Confession de foi pratique)

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Introduction

Dans le cadre de ses missions, le Comité théologique du Réseau FEF a réinvesti la Confession de foi du Réseau FEF pour décliner chaque article de manière pratique. L’objectif est de mettre en lumière les points doctrinaux qui rassemblent nos unions membres et d’équiper nos assemblées à vivre concrètement ces réalités essentielles. Voici le sommaire des différents articles :


Article 4 – Le péché

Nous croyons que, créés moralement justes et bons, nos premiers parents ont consciemment désobéi à leur Créateur. Ils ont ainsi perdu leur condition première, et la Création tout entière subit les conséquences de leur faute.

Nous croyons que, depuis lors, tous les hommes, à l’exception de Jésus-Christ, se trouvent, dans leur condition naturelle, séparés de Dieu, enclins au mal, asservis au péché et soumis à la domination de Satan. Ils transgressent les lois divines et demeurent, en conséquence, exposés à une perdition éternelle.

Nous croyons cependant que Dieu, dans sa bonté, offre aux hommes un accès à sa grâce. Tout être humain est appelé à répondre à cette offre de façon responsable durant sa vie présente, à la clarté des lumières qui lui sont accessibles, ce qui détermine son sort éternel.

Confession de foi Réseau FEF

Éléments explicatifs de l’article 4

Par matthieu gangloff

Toute la Bible présente la sombre réalité de l’irruption du péché (Genèse 3) dans la Création parfaite (Genèse 1.31), son règne, ses expressions diverses et les conséquences de cette puissance destructrice, mais aussi son anéantissement grâce à l’œuvre du Christ (1 Corinthiens 15).

L’irruption du péché

Son irruption dans la Création est inexpliquée. C’est le fameux « mystère opaque du mal » possible dans une Création parfaite. Le texte de Genèse 3 indique que la faute du couple originel, Adam et Ève (3.6), a permis son action et son développement. Mais avec ce texte, tout comme avec le texte de Job, on apprend simplement qu’un être méchant suggère le mal. Nous ne savons pas d’où cet être maléfique vient, ni réellement qui il est. Le texte de Genèse le présente comme un serpent, animal dangereux par excellence pour le peuple qui traverse le désert. Cet être souhaite la mort spirituelle et éternelle de chaque homme et de chaque femme.

À son sujet, différentes réactions problématiques doivent être relevées :

  • certains nient son existence,
  • certains minimisent le risque alors que la Bible pointe sa dangerosité (1 Pierre 5.8),
  • d’autres le voient partout, et en font presque l’égal de Dieu en le positionnant comme un adversaire de force égale, dans un dualisme revisité totalement hérétique.

Ces trois approches n’ont aucun fondement biblique. Le serpent est une créature, ce n’est donc pas une force éternelle. En tant que créature, il a un début et une fin. Satan est fort, il est mauvais, il est dangereux, mais il est limité. Le texte de Genèse affirme d’ailleurs que le serpent sera écrasé définitivement. Cependant, il est encore actif. Et cet être incite au développement du péché dans les vies humaines et des sociétés par le biais de la tentation. Le péché est néanmoins une puissance autonome, qui n’a pas besoin que Satan soit à la manœuvre systématiquement. En effet, il prend appui sur un désir de toute-puissance de l’humain, qui n’a pas besoin de Satan pour vouloir vivre sa vie sans Dieu ni maître.

Ce qu’est le péché

Jules-Marcel Nicole précise :

Puisque l’homme a été créé bon, le péché n’est pas un élément constitutif de la nature humaine. Le péché est un accident, le résultat d’une séduction venue du dehors. Il aurait pu et surtout dû ne pas se produire1.

On peut dire avec l’apôtre Paul que le péché fondamental, c’est le refus d’honorer Dieu et de lui rendre grâce (Romains 1.21). C’est se détourner de lui pour suivre sa propre voie. Et évidemment, quand l’être humain se détourne de Dieu, qu’il n’écoute plus sa voix, il en écoute d’autres et l’idolâtrie humaine se développe avec toutes les conséquences que l’on connaît.

En priorité, le péché prive les humains d’une relation avec le Créateur. Les chérubins barrent l’accès au jardin, comme ils barreront l’accès au lieu très saint du tabernacle, puis du temple.

Le péché n’est donc pas seulement la violation d’un principe moral ou légal, c’est aussi, et d’abord, l’irrespect envers Celui qui a promulgué la loi, l’opposition à lui (Jacques 4.11-12). C’est cette dimension interpersonnelle du péché, commis par la créature contre Dieu, qui est première et qui en fait d’abord la gravité. L’être humain et son péché se situent coram deo, « devant Dieu », selon le mot de Luther2. Et nous sommes tous concernés par le péché : il n’y a pas de juste, pas même un seul (Romains 3.10).

Le péché fondamental est donc, comme l’écrit Thomas Schreiner, ce manquement à l’adoration ; tous les autres péchés, sont une conséquence de celui-ci. L’essence du péché est un rejet de la gloire de Dieu et de son honneur3.

Le problème de notre société sécularisée, c’est que puisque Dieu a été mis de côté, le concept de péché devient flou. Même si le grand public s’indigne devant des horreurs, il est difficile de parler de déshonneur de Dieu si Dieu n’est plus intégré à la réflexion. Or, si la notion de péché devient vague, la nécessité de la croix perd elle aussi de sa pertinence. Et dès lors, l’annonce de la Bonne Nouvelle ne devient qu’un bruit de plus dans une société marquée par le brouhaha. Seul un retour à l’Écriture permet d’appréhender sainement la notion de culpabilité, d’embrasser sa culpabilité réelle et d’accueillir le pardon divin pour être acquitté4.

Nous sommes pécheurs

On peut pécher par omission, pécher par ignorance, pécher sans le faire exprès, pécher dans un seul domaine et être en règle ailleurs, on peut pécher en acte, en parole, en pensée… mais c’est toujours pécher ! Et la Bible va plus loin encore. Le problème n’est pas simplement que nous commettons des péchés ponctuels ou habituels, mais nous sommes pécheurs : le péché se loge au plus profond de notre être.

Le prophète Jérémie décrit le cœur humain comme malade, tortueux, corrompu (17.9). À cause du péché, l’être humain est perverti, corrompu (Romains 7.17), animé par des tendances mauvaises (Romains 8.7). L’orientation même de son être est répréhensible. Il n’est pas simplement auteur du péché, il est pécheur.

Le cœur étant atteint, toutes les facultés humaines sont atteintes. Ainsi, d’après Ésaïe, les mains, les doigts, les lèvres, la langue, les pieds, les pensées servent d’instruments au péché, et ce qui est conçu, dit et fait est mauvais (Ésaïe 59.3-4, 6-7). Dans son réquisitoire pour démontrer que tous les humains sont coupables, Paul mentionne pareillement le gosier, la langue, les lèvres, la bouche, les pieds, les yeux… (Romains 3.13-18). Puisque le péché atteint le cœur, l’être intérieur, il atteint aussi notre intelligence (Éphésiens 4.17) de sorte que nous concevons le mal (Genèse 6.5), et il engourdit notre conscience. On peut dire sans exagérer que le péché est un parasite mortel, qu’il nous colle à la peau (Jérémie 13.23) et en même temps infecte notre être entier, jusqu’en ses derniers recoins (Proverbes 27.22).

D’une manière technique, on dira que notre dépravation est extensive : tout dans notre être est atteint, il n’y a rien de sauf ! En revanche, on ne parlera pas de dépravation intensive : les humains ne commettent pas que du mal et le mal ne s’exprime pas de manière maximale dans leur vie.

Par ailleurs, nous ne sommes pas seulement pécheurs en tant qu’individus, nous vivons dans un monde pécheur, plus précisément dans une société pécheresse. Les humains pécheurs interagissent entre eux et développent une dynamique pécheresse à laquelle ils adhérent collectivement. Le péché a ainsi une dimension collective.

Il nous faut donc dénoncer le mensonge qui est si souvent relayé et qui fait croire que l’homme est bon à sa naissance. La vision de Rousseau dans Émile ou De l’éducation est en totale contradiction avec la Bible. L’être humain et l’humanité dans son ensemble vit avec un virus terrible appelé le péché. On ne voit pas le virus, mais on voit ses effets. Les effets du péché sont nombreux et il faut être profondément malhonnête pour ne pas les voir. L’humain est malade. Or quand on est malade, seul un traitement approprié peut guérir. On peut avaler des milliers de médicaments, si on ne prend pas le bon remède, rien ne changera. En ce qui concerne le péché, il n’existe qu’un seul remède. Aucune religion humaine n’en parle, et faire des efforts ne suffit pas à se débarrasser du virus. Le remède s’appelle Jésus-Christ.

Tous, nous commençons notre vie avec ce péché en nous, telle une maladie incurable héritée de nos premiers parents, tel un poison qui fait son œuvre. De fait, nous sommes séparés du Dieu trois fois saint dès notre naissance. Ce n’est pas la nature humaine le problème, puisque le récit de la Création enseigne que l’être humain n’est pas pécheur depuis l’origine. C’est le péché qui a généré dans un deuxième temps une rupture avec Dieu. Cette séparation entre d’un côté l’existence de l’humain et de l’autre le péché et le mal est une particularité de la Bible, dans son récit des origines. L’être humain n’a pas été créé mauvais, et le mal n’est pas existant depuis toujours. Et c’est une bonne nouvelle. Car comme le dit Roland Frauli, puisque le péché n’est pas lié à la nature humaine, un formidable espoir subsiste pour nous d’être libérés de ce parasite et de retrouver notre humanité pleine et entière, dans la communion avec Dieu.

En fait, si la Bible parle si souvent du péché, c’est que son message central, l’annonce de Jésus-Christ et de son œuvre, se définit par rapport à cette réalité négative ; l’ange explique le nom même de Jésus en disant : Car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés5. Ainsi si le péché est un cataclysme, il a été vaincu par le Christ.

Il n’est toutefois pas une petite chose insignifiante, sur laquelle on pourrait passer rapidement. Je me réjouis de ce qu’un de nos articles de foi y soit consacré. « Le péché est trop grave pour que l’on n’en parle pas », disait Wesley. Tous les revivalistes, les meneurs des grands réveils, étaient d’accord sur ce point. Le péché est grave. Et il faut le dire, le redire, et en convaincre les gens ! Du fait même de sa gravité, on ne peut pas le tolérer dans notre vie. Le minimiser, voire ne plus le mentionner dans nos enseignements serait une grave erreur. Sans sombrer dans un légalisme malsain, puisque ce ne sont pas nos efforts qui nous apportent le salut, il nous fait dénoncer aussi le laxisme et le relativisme qui correspond à l’esprit du temps.

Car l’Évangile n’est pas une licence pour faire n’importe quoi. Dieu n’est pas un papi gâteau, presque sénile, qui ne capte rien, qui est très gentil mais à moitié sourd et aveugle…

Nous sommes appelés à vivre dans la lumière de la résurrection, car celui que nous servons est vivant et nous voulons l’honorer. Comme l’écrivait Dietrich Bonhoeffer, dans Le prix de la grâce, l’Évangile ce n’est pas une grâce à bon marché. Nous sommes appelés à la consécration. Il ne s’agit donc certainement pas de laisser place au péché dans nos vies. Nous sommes appelés à être saints car notre Dieu est saint. Comme le rappelait Jacques Buchhold dans un de ses cours : « Dieu est un Dieu de grâce, mais je suis appelé à l’honorer dans tous les aspects de mon existence ! »

Que ce soit dans nos propres vies, dans l’Église locale ou au sein de l’Église universelle, dans nos ministères et pour le témoignage que nous voulons porter dans ce monde, nous devons prendre en compte le péché et lui opposer une farouche résistance par l’Esprit, une résistance victorieuse en Jésus-Christ, une résistance pour la gloire du Père céleste.

Réinvestir la doctrine du péché

par matthieu gangloff

Quelques pistes concrètes en lien avec notre piété personnelle

Le péché est une réalité, il existe dans nos vies. Nous ne devrions pas le négliger.

L’insistance de la Parole de Dieu pour le dénoncer dans le peuple d’Israël et dans la communauté des croyants, sa persistance à inviter les chrétiens à une vie sainte (car Dieu est saint) et sa constance à pousser les disciples à vivre de la grâce chaque jour nous invitent à faire une belle place à l’introspection et à l’examen de conscience.

Dans l’histoire de l’Église, il y a parfois eu une lourdeur et une manière malsaine d’approcher l’« entrée en soi », la confession et la repentance. Mais en réaction, dans une sorte de mouvement de balancier, cet aspect-là – pourtant au cœur de la vie de disciple – a peut-être été minimisé, parfois même évacué. Sans tomber dans le légalisme, il nous faut veiller à ne pas verser dans le laxisme, le relativisme ou l’indifférence. Car nous sommes membres du peuple du Dieu saint.

Ainsi, notre manière de vivre la foi devrait intégrer cette réalité du péché et nous devrions donc y replacer l’examen de conscience, la confession, la repentance. L’enjeu n’est pas minime, car ce faisant nous nous invitons à une compréhension renouvelée de la grâce et du pardon au cœur de notre quotidien. C’est par ce moyen que nous pouvons réaliser tout à nouveau que nous sommes justifiés, pardonnés en Jésus-Christ seul. Et inévitablement nous donner des motifs de louange au quotidien. Le fait de faire des efforts dans la marche vers la sainteté n’est pas un refus de l’Évangile, bien au contraire, c’en est l’expression tout à fait pratique et quotidienne ! Réalisant le prix payé par le Christ à la croix, nous ne voulons surtout pas nous priver de vivre de ce pardon et de la grâce divine au quotidien !

Un premier enjeu est de bien définir ce qu’est le péché. En effet, l’emploi du mot « péché » est souvent piégé par des représentations inadaptées. Ne pas l’expliquer, c’est prendre le risque que chacun le remplisse à sa manière. Il se peut aussi que le terme soit si vague qu’il en devient vide de sens, et semblera alors ne concerner que peu de monde.

Or adapter le langage n’est pas si aisé. Le terme « faute » pousse irrémédiablement vers un acte immoral. Celui d’« ’injustice » semble privilégier l’aspect légal, mais il ne tient pas compte de la dimension relationnelle qui est particulièrement présente dans la notion biblique du péché. C’est d’ailleurs sur cet aspect de la rupture relationnelle entre Dieu et l’homme que l’accent pourrait être mis plus franchement, en parlant de mépris, d’indifférence ou de rejet de Dieu. On pourrait également parler du péché en termes d’aliénation, d’altération, de perversion, ou de pourrissement (des différentes composantes de notre être par exemple). Mais on pourrait aussi en parler en termes de désir d’indépendance et d’autonomie, de rébellion à l’égard du Dieu souverain. Globalement, il semble donc qu’une précision soit nécessaire pour mieux éclairer la réalité du péché. Cette plus grande netteté peut se trouver dans le dialogue d’un accompagnement adapté, ou dans l’effort particulier des enseignants afin de ne pas rester vague en utilisant uniquement le terme générique de « péché ».

Un autre enjeu est de garder à l’esprit que le cœur humain est tortueux par-dessus tout, comme le dit le prophète Jérémie (17.9), et que le péché se loge parfois à des endroits insoupçonnés. Il n’est, tant s’en faut, pas toujours la caricature que l’on en fait. L’examen de conscience pourrait donc être accompagné, sans pousser à la culpabilisation, mais en aidant à dévoiler des motivations pas toujours aussi pures que ce qu’elles pourraient paraître. Il pourrait donc être envisagé que des outils soient développés (localement et nationalement) pour aider chacun à cheminer dans la sanctification.

Le péché touche l’ensemble de ce qui constitue notre être. Le ressenti « je crois que c’est bon pour moi » ne peut être seul un critère de vérité. Nos sentiments sont eux aussi affectés par la chute. Alors que nous avons été formés par une culture romantique, il nous faut réaliser que nos sentiments et émotions doivent être sanctifiés eux aussi. De même, notre rationalité si souvent mise en avant, notre compréhension de ce qui est droit et objectif a aussi besoin de la grâce souveraine manifestée en Jésus-Christ, car notre raisonnement aussi est affecté par le péché. Il ne s’agit donc pas d’opposer sentiments et raison, mais de rechercher la sanctification dans tous les domaines, sans verser dans une dénonciation simplement généraliste du péché.

Nous faisons peut-être parfois des raccourcis un peu simplistes, en nous rappelant (à raison) que nous avons été sauvés du péché en Christ, mais en évacuant un peu vite la réalité de la sanctification, « sans laquelle nul ne verra le Seigneur » (Hébreux 12.14). La consécration est un enjeu majeur pour le peuple de Dieu et pour chacun des membres qui le compose.

À ce sujet, l’on peut franchement s’interroger sur notre attitude dans les relations interpersonnelles, y compris et peut-être même surtout dans l’Église, où bien des tensions et des crispations ne sont jamais réglées et laissées dans un silence de mort. La fausse espérance que le temps finira par faire oublier le péché affecte bien des relations et pollue bien des communautés. Pour le dire plus trivialement, le fait d’avoir raison (ou croire que c’est le cas) dans un conflit n’exempte pas d’une démarche de pardon aux yeux de Dieu. Matthieu 18 pointe l’attitude orgueilleuse et opposée à Dieu de celui ou celle qui laisse une situation non réglée sous le tapis, car elle sera tôt ou tard occasion de chute.

Dans une société où l’individu tend à se replier sur lui-même, le chrétien pourrait tirer grand profit à appliquer l’impératif « confessez-vous les uns aux autres », à condition que le cadre proposé soit bienveillant. Il convient là de souligner des accompagnements spécifiques, car il est assez délicat d’articuler le rapport entre péché et difficulté psychique que l’on pourrait vivre personnellement. De même en ce qui concerne les personnes porteuses de handicaps. La pastorale, l’accompagnement doit prendre en compte ces réalités, et permettre un lieu d’écoute adapté. Tous, nous sommes du point de vue spirituel aveugles et handicapés. Notre marche chrétienne passe nécessairement par la repentance.

Quelques pistes concrètes pour l’Église communauté

Au-delà de la repentance et de la confession personnelle directement avec Dieu, l’Église devrait être un espace particulier où se vit la confession communautaire et la marche avec le Christ en résistant au péché. L’Église locale est le lieu idéal pour freiner l’action du péché et contrer son influence, notamment au travers de l’enseignement. Compte tenu de l’importance de la doctrine du péché et de sa présence dans de si nombreux textes de l’Écriture, l’Église, au travers de ses responsables, ses prédicateurs et ses enseignants, devrait en parler régulièrement, à tous, mais d’une manière adaptée afin que chacun puisse comprendre ce que la Parole de Dieu enseigne. De ce fait, certaines thématiques peu abordées pourraient alors être traitées (citons pêle-mêle des thèmes comme les violences conjugales, l’injustice raciale, l’égoïsme, le culte de la performance…) en veillant à parler non seulement des effets mais aussi de la racine du péché dans le cœur humain.

De plus, la qualité des relations devrait permettre de vrais échanges sur les combats vécus. Un groupe en effectif réduit, où les relations sont soignées et développées, est probablement le cadre le plus propice pour des partages à ce niveau d’intimité. Le fait demeure cependant qu’il arrive à chaque chrétien de chuter. L’authenticité (sans verser dans le misérabilisme) et la redevabilité pourraient être valorisées davantage. La lutte contre le péché n’est en tout cas pas seulement affaire privée. Les relations peuvent aider à tenir ferme, tout comme une mêlée de rugby permettra de résister bien plus à des assauts adverses.

La vie d’Église devrait aussi pouvoir intégrer des temps spécifiques en lien avec la lutte contre le péché. Des temps où l’on invite la communauté à s’arrêter, et pas uniquement pour le péché de chacun vécu dans la semaine, mais pour le péché communautaire, dans la façon de vivre l’Évangile en tant que groupe. Des temps de méditation et de réflexion, des temps de prière, animés de diverses manières, peuvent aider la congrégation locale à vivre de la grâce à la suite d’une repentance commune.

La thématique du péché étant souvent pensée spontanément à un niveau strictement individuel, la liturgie peut être une aide précieuse. En effet, bien des liturgies insistent sur le péché de l’Église à l’égard du monde, du migrant ou du pauvre. Et face aux exigences de Dieu rappelées par le texte biblique lors d’une lecture, la communauté peut alors prendre conscience de ses manquements à vivre selon le cœur de Dieu, alors même que l’Église est le peuple de Dieu. L’usage de la liturgie peut donc s’avérer précieux, à condition de l’expliquer et de permettre à l’ensemble de la congrégation de véritablement faire sienne une prière lue. Une prière travaillée en amont permet en tout cas de poser des mots choisis. Le temps de la cène est aussi un temps particulier qui pourrait être un cadre propice à une telle remise en question collective. La prière du Notre Père, souvent pensée individuellement, pourrait aussi être pensée en tant que prière de l’Église locale. Certaines communautés pratiquent également le lavement des pieds, ou encore des jours de pardon durant lesquels des temps spécifique de mise par écrit des péchés communautaires et de prières de repentances sont vécus.

Il y a probablement là des pistes fécondes qui pourraient aider à une sain(t)e créativité pour aider l’Église dans sa marche avec Dieu et sa lutte contre le péché. De tels temps spécifiques aideraient en tout cas à éclairer certains angles morts, et ce d’autant plus que notre culture tolère certains péchés, voire les approuve. Le texte biblique pourrait nous amener à nous interroger et nous inviter à d’autres manières de vivre (manière de gérer l’argent, manière de consommer, attitude vis-à-vis des voisins de palier…). Chaque culture développe ses propres expressions du péché, et comme nous baignons dans la nôtre, nous pouvons ne pas être conscients des travers dans lesquels elle peut nous entraîner.

Il semble aussi qu’une forme de repentance collective serait particulièrement adaptée après une crise d’Église, à condition que le cadre soit bien posé (probablement par une personne extérieure, pourquoi pas une personne de l’union d’Églises par exemple). En tout cas, il est évident que le péché plombe des relations dans l’Église et empêche le rayonnement de l’Évangile. Les appels insistants du Nouveau Testament pour vivre l’unité et l’amour fraternel soulignent qu’il est impératif de prendre soin des relations, et au besoin de guérir les relations abimées dans chaque communauté chrétienne.

Quelques pistes concrètes au niveau de l’Église universelle

La question des relations abimées se pose certes au niveau de l’Église locale, mais elle se pose aussi d’une manière plus large à celui des liens inter-Églises. Si la question de l’unité entre chrétiens de manière large fait débat, un rapprochement plus important entre évangéliques de la même tendance théologique au sein du Réseau FEF pourrait être possible. Sans négliger le poids de l’histoire ni les différences de fonctionnement, il y aurait des chemins à emprunter pour oser mutualiser des moyens, ce qui pourrait être perçu comme une gestion des ressources que Dieu met à notre disposition, et aussi comme le contre-pied à une forme de séparatisme alimenté non par l’Évangile mais par un « esprit de clocher » coupable. Le Christ est mort pour l’Église Une (Éphésiens 5.25), et c’est tous ensemble (et pas uniquement localement) que nous sommes peuple de Dieu, corps du Christ et temple de l’Esprit. Il faut bien le reconnaître, parfois le péché se loge à ce niveau de relations inter-Églises.

Il est évident que des problèmes existent et que le rapprochement entre Églises peut se heurter à bien des difficultés, mais l’Évangile nous presse néanmoins à rechercher l’unité autant que faire se peut (Romains 12.3). Si des unions ont un rôle à jouer, il semble que c’est d’abord localement que nous pouvons travailler et vivre l’unité. À ce titre, il peut être intéressant de viser un objectif commun, l’unité en est facilitée. Chaque Église est ainsi encouragée à se rapprocher des Églises de son secteur géographique pour vivre une communion dans la prière, et pourquoi pas dans telle ou telle action ponctuelle ou régulière.

Tout en assumant notre congrégationalisme au sein du Réseau FEF, il est important d’en mesurer les fragilités (quand un conseil dysfonctionne, quand un pasteur « prend le pouvoir »…) et de penser à une régulation supralocale face à un péché qui peut dépasser le cadre régulateur d’une Église locale. Les unions, les ministères trans-locaux peuvent être une réponse adaptée, tout en réalisant qu’ils ne peuvent ni ne doivent se substituer à la direction locale de l’Église. Dans l’Église primitive, tout en insistant sur le rôle des anciens et des ministères locaux, les congrégations pouvaient faire appel aux apôtres, et il existait une véritable unité entre apôtres et responsables. L’apostolat sous cette forme étant terminé, il est important de considérer l’articulation local-national au sein des unions, et probablement aussi au niveau du Réseau FEF.

Quelques pistes concrètes au niveau des ministères

Ces dernières années, beaucoup de scandales autour de ministères ont émaillé l’actualité évangélique. Abus sexuels, détournements de fonds, mensonges… Ces événements poussent à une saine réflexion autour de nos pratiques ministérielles.

D’abord, il convient de rappeler que les hommes et les femmes qui servent Dieu sont encore tentés et que parfois ils chutent. Un ministère se devrait donc d’être authentique en veillant à ne pas faire croire qu’une certaine perfection aurait été acquise ou même presque atteinte. Au contraire, les uns et les autres gagneront en crédibilité à reconnaître qu’ils ne sont pas au bout de la course mais en chemin, comme tout chrétien.

Chaque ministère local devrait permettre de développer une culture de la grâce dans la communauté. La critique et le jugement facile sont donc à proscrire et une certaine exemplarité est à rechercher. Cette exemplarité passe par le fait de se montrer vulnérable. Évidemment, il n’est pas possible de tout dire à tout le monde et en toute circonstance, mais une authenticité est à rechercher, que ce soit dans l’Église ou au sein de l’équipe de responsables. A. Strong illustrait le péché par les nœuds dans les cheveux… il convient d’y passer le peigne régulièrement. Or il est à souhaiter que les responsables se coiffent tout comme les membres de l’Église. Une difficulté particulière doit pourtant être soulevée ici, car un responsable doit travailler à deux niveaux. Dans le cadre de son ministère, il doit accompagner des personnes qui luttent contre le péché et chutent parfois. Cet accompagnement implique de ne jamais faire de compromis avec la vérité de l’Évangile et la sainteté de Dieu. Or, dans un même temps, les tentations qui l’assaillent lui-même si facilement sont nombreuses et il doit gérer les conséquences de son péché propre. Ces deux plans ont du mal à communiquer. Il est important de ne pas désécuriser les chrétiens, mais cacher notre vulnérabilité n’est peut-être pas toujours le meilleur moyen de la vivre.

Certes, nous pouvons ainsi éviter des critiques ou attaques faciles, mais comme tous les chrétiens, nous vivons de la grâce, et c’est dans la dépendance du Christ seul que nous pouvons vivre notre service devant le Seigneur trois fois saint.

Compte tenu de nos fragilités, un soin particulier devrait être mis sur la vie de couple et de famille, premier lieu où se manifestent les effets de la chute et notre imperfection. Un responsable ne peut pas être parfait, mais sa manière de gérer son imperfection devrait être modélisante pour les autres chrétiens.

Puisqu’il n’est pas possible de tout partager avec tout le monde, les responsables d’Église devraient pouvoir trouver des lieux de parole et d’écoute. Comme tout le monde, un responsable peut être découragé, blasé, énervé… Un travail de supervision est à recommander, mais peut-être aussi à faciliter (prise en charge financière par exemple). Dans le même ordre d’idée, les pastorales pourraient – si tous jouent le jeu – devenir des lieux d’édification et d’encouragements pertinents. Il peut alors s’agir de sortir d’une forme de compétition malsaine qui existe parfois et où chacun cherche à montrer ses réussites bien plus que ses défis. Puisque chacun de nous traverse bien des turbulences et des défis, il serait bien plus pertinent de nous soutenir les uns et les autres que de faire croire – aussi à un(e) collègue – que nous n’avons pas de fragilités ou de doutes. Il convient donc de vivre dans une certaine sincérité et de créer les conditions sécurisantes pour que de tels rassemblements permettent une authenticité réellement vécue. Il est plus que probable que les temps de prières seront bien plus féconds qu’après un tour de table où l’on se gargarise de ses réussites ecclésiales.

À un niveau translocal, une réflexion doit probablement aussi être menée sur l’accompagnement des ministères à différents niveaux. Il faut de la prévention dans les centres de formation, et l’utilisation de cadres qui vont réguler les ministères, avec des évaluations. Le développement et l’utilisation de lieux de paroles, ainsi que d’espaces de ressourcements permettraient en tout cas d’éviter bien des dérives, que d’aucuns prennent ensuite un malin plaisir à médiatiser.

Quelques pistes concrètes pour vivre cette doctrine dans notre rapport au monde

Les chrétiens ne devraient pas être surpris de vivre dans un monde pécheur. On est parfois surpris de la surprise des gens qui vivent dans un monde pécheur ! C’est pourtant une réalité qui s’impose à nous, et elle nous permet d’abord de revenir à la souveraineté de Dieu, vérité rassurante et réconfortante.

Face à la prolifération du péché, l’Église devrait démontrer sa compassion, à la fois quand elle est dispersée (sur le lieu de travail, dans les familles, avec des personnes qui n’ont pas d’espérance), mais aussi quand elle est rassemblée et lorsqu’elle partage sa foi avec des personnes en découverte. L’enseignement comme les relations devraient témoigner d’une bienveillance particulière, car la vie dans ce monde marqué par la chute est bien difficile. Or si l’Église a une vocation, c’est bien celle d’être sel et lumière ! Ainsi, la manière de célébrer le culte (de l’accueil à la prédication, en passant par la louange et le temps de prière) devrait tenir compte des croyants et des non-croyants. De même, la vie communautaire devrait être marquée par cet accueil inconditionnel et bienveillant, tout en ne faisant jamais le moindre compromis sur le péché malgré un relativisme ambiant.

Au-delà des mots, l’Église doit incarner le message qu’elle proclame de sa bouche. Le mal est un fait que tous peuvent voir au quotidien, et dans la mesure où l’Église ne vit pas hors du monde, elle peut démontrer qu’une autre manière de vivre est possible. La qualité des relations, la bienveillance entre membres et la façon de s’accueillir les uns les autres, l’hospitalité, le soutien, l’intérêt des uns pour les autres, l’encouragement, le transgénérationnel, l’interculturalité sont autant d’axes qui devraient être développés. Alors que nos contemporains vivent avec nous dans un monde rempli d’incertitudes, nous pouvons partager et vivre du message de l’Évangile, pilier solidement ancré permettant de vivre chaque circonstance dans la paix que Dieu donne.

Face à la réalité du péché, nous devons aussi être authentiques avec ceux qui nous entourent et à l’égard de qui nous ne sommes pas toujours justes. Une telle authenticité implique la reconnaissance de nos torts et des repentances sincères. Cette attitude est une interpellation pertinente. Face au monde, l’Église doit travailler avec humilité et assumer qu’elle n’est pas parfaite, qu’elle est parfois aussi coupable d’une indifférence alors que les voisins ont tant besoin de voir l’Évangile mis en action.

Conclusion

La doctrine du péché ici revisitée par notre groupe de travail devrait, dans tous ces domaines, trouver une traduction pratique, aussi bien individuellement que collectivement. Que le Seigneur nous vienne en aide, que son Esprit nous dirige, nous interpelle et nous guide pour que nous puissions rendre gloire au Père. Et que l’Église puisse refléter le Dieu trois fois saint, en vivant pleinement son identité de peuple de Dieu, de corps du Christ et de temple de l’Esprit.

Sommaire Confession de foi pratique

Notes de bas de page
  1. NICOLE Jules-Marcel, Précis de doctrine chrétienne, p.100. ↩︎
  2. FRAULI Roland, « L’être humain entièrement corrompu… vraiment ? », avril 2013, Réseau FEF Infos 135. ↩︎
  3. SCHREINER Thomas, Romans, The Baker Exegetical Commentary on the New Testament, 1998, Romains12.1. ↩︎
  4. FRAULI Roland, « Moi, coupable ? », Servir en l’attendant, n°1, janvier-mars 2016, p.17. ↩︎
  5. BLOCHER Henri, « péché », dans Le grand dictionnaire de la Bible, Excelsis, 2010. ↩︎

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