Articles 8 et 9 – L’Église et ses sacrements (Confession de foi pratique)

Introduction

Dans le cadre de ses missions, le Comité théologique du Réseau FEF a réinvesti la Confession de foi du Réseau FEF pour décliner chaque article de manière pratique. L’objectif est de mettre en lumière les points doctrinaux qui rassemblent nos unions membres et d’équiper nos assemblées à vivre concrètement ces réalités essentielles. Voici le sommaire des différents articles :


La doctrine de l’Église et des sacrements

par Matthieu Sanders

“Nous croyons que Dieu a voulu créer pour lui une humanité nouvelle, appelée à lui rendre un culte, et comprenant tous ceux qui auront été régénérés et réconciliés avec lui par Christ. À cet effet, il a fondé l’Église le jour de la Pentecôte, en accomplissement de la promesse faite à Abraham. Elle est la communauté de tous ceux qui, issus de tous les peuples, ont mis leur foi en Jésus-Christ en apportant leur adhésion à l’enseignement des apôtres. Le Saint-Esprit unit ces croyants à Christ et entre eux pour former comme un seul corps.

Nous croyons que Jésus-Christ est le Seigneur et l’unique chef de l’Église. Il la nourrit par sa Parole, la conduit par son Esprit et lui suscite divers ministères pour qu’elle remplisse ses missions. Il la fera paraître dans sa plénitude et sa perfection finale lors du renouvellement de toutes choses. Il lui donne présentement pour mandat d’annoncer l’Évangile à tous les peuples et de faire parmi eux des disciples.

Nous croyons que l’Église locale est appelée à manifester, à sa mesure, la réalité du Corps de Christ. Elle est une communauté de croyants nés de l’Esprit, qui, tout en reconnaissant leurs faiblesses, veulent vivre ensemble à la gloire de Dieu. Il est du devoir de chaque Église locale et de chaque chrétien de préserver l’unité que l’Esprit produit entre les croyants véritables, pour l’honneur de leur Seigneur.”

Confession de foi Réseau FEF

La doctrine de l’Église et des sacrements est souvent négligée dans nos milieux protestants évangéliques. Ce fait est probablement lié à une réaction à la très grande place que prend l’ecclésiologie (et une ecclésiologie bien différente !) dans la pensée catholique romaine. Dans la tradition catholique, l’Église – vue comme médiatrice des bienfaits de Jésus-Christ envers les hommes – est si prépondérante que par réaction, les protestants ont parfois tendance à minimiser son importance. Nous avons tendance à penser en termes individuels avant tout lorsque nous pensons au salut : « Dieu et moi » d’abord. Et l’Église est parfois vue (je force un peu le trait !) comme le simple regroupement de ces croyants individuels qui trouvent opportun et bienfaisant de se rassembler.

Pourtant, sans grand risque de basculer vers un crypto-catholicisme, il est essentiel que nous résistions à cette vision minimale de l’Église. Car l’Écriture met en évidence le caractère essentiel, incontournable de l’Église dans le plan de Dieu. On ne peut pas réellement comprendre l’Evangile sans souligner et approfondir cette vérité : Dieu n’a pas seulement sauvé des individus, il a sauvé un peuple, un groupe d’êtres humains avec qui il a voulu entrer en relation, à qui il a adressé des promesses, et qui occupe une place centrale dans ses projets !

Or, cette dimension collective du grand projet de rédemption de Dieu commence bien avant le Nouveau Testament ! Il nous faut donc considérer de quelle manière l’Ancien Testament prépare le terrain.

I. Le peuple de Dieu dans l’Ancien Testament : Israël

1- D’Adam à Abraham

Dès les premières pages de la Bible, l’intérêt de Dieu pour l’humanité, pour le « collectif » humain, est évident. Au chapitre 1 de la Genèse, on apprend que Dieu a créé l’être humain homme et femme, et qu’il adresse aux hommes et aux femmes le mandat de se multiplier et de peupler la terre :

Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! (Genèse 1.28)

« Devenez nombreux » ! Pour Dieu, on voit que la multiplication des êtres humains n’est pas une sorte d’effet collatéral, un détail, mais bien une intention. Dieu s’intéresse au collectif. Dès le départ, ses projets ne sont pas simplement pour des individus ici ou là, mais pour l’humanité.

Adam et Ève

En Genèse 2 et 3, qui « zooment » en quelque sorte sur l’histoire du premier couple, Adam et Ève, et nous racontent l’histoire de la transgression originelle, ce plan large est moins présent ; il y a plus d’accent sur la responsabilité individuelle (même s’il n’est certainement pas fortuit qu’« Adam » signifie « humain »). On voit là un premier indice d’un équilibre qu’on retrouve dans toute la Bible : l’individu compte… et le collectif compte. Car même dans ces deux chapitres, la dimension collective est loin d’être absente. La chute a des conséquences pour toute l’humanité : on le devine déjà à la lecture de ces textes, et cette dimension sera amplement confirmée plus tard. Mais la délivrance de Dieu, déjà suggérée en Genèse 3, a également une dimension collective. Au chapitre 3 de la Genèse, Dieu annonce la sentence pour l’ennemi, le serpent :

Je mettrai l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci t’écrasera la tête et tu lui blesseras le talon. (Genèse 3.15)

Il est question ici de descendance, donc de multiplication, d’humanité prise au sens collectif. Dieu a des projets pour la descendance de la femme. Nous verrons plus loin qu’un autre texte de la Genèse évoque aussi les projets de Dieu pour une descendance. Mais avant, examinerons brièvement un épisode plus tardif des récits des origines : le récit du Déluge et le personnage de Noé.

Noé

En Genèse 6 et 7, Dieu décide d’anéantir l’humanité qui s’est irrémédiablement révoltée contre lui, où le mal est pratiqué partout et à grande échelle. Mais par grâce, il choisit une famille – celle de Noé – pour fonder une « nouvelle humanité ». Et nous trouvons en Genèse 8 une sorte de nouveau récit de la création : Dieu, si l’on ose dire, « repart à zéro », et donne aux descendants de Noé à peu près le même mandat qu’il avait donné en Genèse 1 : celui de se multiplier et remplir la terre.

L’épisode de Noé est éclairant, car il montre que Dieu, tout en jugeant une grande partie de l’humanité, n’abandonne pas tout projet pour l’être humain. Au contraire, il veut fonder une nouvelle humanité. Le problème est que le cœur de l’homme n’a pas changé après le déluge. Comment Dieu va-t-il accomplir de bons projets pour des hommes pécheurs ?

C’est là que l’épisode d’Abraham prend toute son importance.

Abraham

C’est en Genèse 12 que nous faisons connaissance avec le personnage d’Abram, qui devient ensuite Abraham (il est fait brièvement mention de lui à la fin de la généalogie de Genèse 11).

Dieu choisit Abram parmi ses contemporains, sans donner de raison pour ce choix : c’est un choix souverain, un choix de sa grâce. Et voici la promesse qu’il lui adresse :

L’Éternel dit à Abram : « Quitte ton pays, ta patrie et ta famille et va dans le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi.

Genèse 12.1-3

J’établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai considérablement. (…) Voici quelle est mon alliance avec toi. Tu deviendras le père d’un grand nombre de nations.

Genèse 17.2-4

Ces paroles constituent un tournant dans l’histoire biblique. Jusqu’ici, on n’a fait qu’assister à un cercle vicieux infernal : péché, jugement de Dieu, péché des hommes, jugement de Dieu. Même après le déluge, la situation spirituelle de l’homme n’a pas changé. Qu’est-ce qui va pouvoir briser ce cycle, redonner de l’espérance ?

La réponse de Dieu est cette promesse faite à Abram. Cette promesse est (par définition) inconditionnelle : Dieu bénira Abraham à coup sûr. La qualité de la vie et de l’obéissance d’Abraham ne sont pas posées comme condition à ce que Dieu accomplisse ses projets.

Un élément de la promesse qui doit particulièrement retenir notre attention se trouve au verset 3 du chapitre 12. Dieu semble envisager une division dans l’humanité : d’une part ceux qui béniront Abram – et sa descendance, comprendra-t-on un peu plus tard – et d’autre part ceux qui le maudiront. En d’autres termes, ceux qui accueilleront la promesse et la bénédiction de Dieu, et ceux qui lui tourneront le dos.

Juste après la mention de ce clivage, toutefois, vient une parole à la portée universelle : « toutes les familles de la terre seront bénies en toi » (verset 3). Toutes les familles, tous les peuples de la terre seront au bénéfice de cette bénédiction. La confirmation vient au chapitre17 : Abraham sera le père « d’un grand nombre de nations. » On peut voir ici une anticipation de ce que Dieu accomplira des siècles plus tard, en rassemblant, parmi toutes les nations, un peuple d’hommes et de femmes héritiers de la foi d’Abraham et de la bénédiction qui lui a été adressée. Mais cet accomplissement aura lieu, je l’ai dit, de nombreux siècles après Abraham. Dans un premier temps, c’est la descendance immédiate d’Abraham, le peuple israélite, qui va bénéficier directement des promesses de Dieu. Cela faisait aussi partie des promesses adressées à Abraham :

Je te donnerai, à toi et à tes descendants après toi, le pays où tu séjournes en étranger, tout le pays de Canaan ; il sera leur propriété pour toujours et je serai leur Dieu.

Genèse 17.8

Dieu annonce donc, en quelque sorte, un « double accomplissement » de la promesse faite à Abraham, ou plutôt il y a deux promesses qu’on peut distinguer. D’abord une promesse qui s’adresse, spécifiquement et dans un premier temps, aux descendants physiques d’Abraham : le peuple d’Israël. À plus long terme, Dieu promet une bénédiction pour « toutes les nations ». En termes théologiques, sur la base de textes bibliques des prophètes et du Nouveau Testament, on parlera de l’ancienne alliance, essentiellement centrée sur la relation entre Dieu et Israël ; puis de la nouvelle alliance, après la venue de Jésus, et incluant toutes les nations.

Nous reviendrons largement sur cette nouvelle alliance, bien entendu ; mais il nous faut d’abord développer quelque peu le thème de la relation entre Dieu et Israël.

2- Israël, peuple de Dieu

C’est Jacob, le petit-fils d’Abraham, qui fut renommé « Israël » et donna son nom au peuple des descendants d’Abraham. Les douze fils de Jacob donnèrent leur nom, quant à eux, aux douze tribus qui se répartirent la terre promise par Dieu à son peuple. Mais Jacob et ses douze fils s’exilèrent en Égypte, quittant ainsi cette terre promise. Leurs descendants, les Israélites, y furent soumis à l’esclavage, et c’est 400 ans plus tard que Dieu les en libéra, suscitant Moïse comme chef et législateur du peuple.

Alors qu’Israël, après son départ d’Égypte, errait dans le désert en attendant de s’installer dans la terre promise, Dieu révéla à Moïse la loi qui devait régir la vie sociale, rituelle et spirituelle d’Israël. Dieu choisit Israël comme son peuple : un peuple avec lequel il a conclu alliance, un peuple appelé à être différent des autres peuples, parce que consacré à Dieu, mis à part pour lui. Parmi beaucoup d’autres textes, nous pouvons citer à ce sujet Lévitique 20.26 :

Vous serez saints pour moi, car je suis saint, moi, l’Éternel. Je vous ai séparés des autres peuples afin que vous m’apparteniez.

Lévitique 20.26

Cet accent sur la séparation du peuple de Dieu est très marqué dans l’Ancien Testament. Cette séparation se manifesta dans la loi d’Israël par un ensemble de règles rituelles et sociales qui avaient pour but de « mettre à part » Israël pour Dieu, ainsi les règles alimentaires, les lois de pureté, etc. Mais l’Ancien Testament ne perd jamais de vue le fait que ces règles sont des signes d’une réalité spirituelle bien plus fondamentale : appartenir à Dieu ou pas. Il y a d’ailleurs des indices, dès l’Ancien Testament, du caractère provisoire d’au moins une partie de ces règles et signes visibles. Nous ne nous attarderons pas ici sur ce point qui nous éloignerait de notre sujet.

Nous avons vu qu’Israël est appelé à être « à part », séparé des autres peuples. Spontanément, on peut en être dérangé, voire choqué. Toutefois, pour bien comprendre cet accent, il faut avoir à l’esprit le récit biblique depuis le début ; le fait que le monde est pécheur et que les hommes se sont massivement révoltés contre Dieu. Par définition, donc, le fait d’être consacré à Dieu implique d’être en porte-à-faux avec le reste du monde. Mais deux précisions très importantes doivent ici être apportées.

Premièrement, la « séparation » d’Israël est pensée, dans l’Ancien Testament, non pas comme un rejet du reste du monde, mais plutôt comme une démarcation qui a vocation de témoignage pour le reste du monde. Israël est appelé à être témoin de Dieu auprès des nations. On peut citer en ce sens, par exemple, la prière de Salomon lors de la consécration du temple :

Même l’étranger, celui qui n’est pas issu de ton peuple, d’Israël, viendra d’un pays lointain à cause de ta réputation. En effet, on apprendra que ton nom est grand, ta main forte, et ton bras puissant. Quand l’étranger viendra prier dans cette maison, écoute-le du haut du ciel, de l’endroit où tu résides, et accorde-lui tout ce qu’il te demandera ! Ainsi, tous les peuples de la terre connaîtront ton nom et te craindront comme le fait Israël, ton peuple, et ils sauront que ton nom est associé à cette maison que j’ai construite.

I Rois 8.41-43

Deuxièmement, et lié à ce que nous venons de dire, cette « mise à part » d’un peuple ethnique, le peuple d’Israël, est limitée dans le temps. Plusieurs textes de l’Ancien Testament, dont l’épisode de la promesse faite à Abraham, nous rappellent que Dieu n’a jamais voulu se contenter d’appeler un peuple ethnique à lui, le peuple d’Israël. Il n’a jamais perdu de vue sa promesse qu’Israël serait une bénédiction pour les nations. Écoutons notamment cette prophétie d’Ésaïe, adressée à Israël :

Lève-toi, brille, car ta lumière arrive et la gloire de l’Éternel se lève sur toi. Certes, les ténèbres recouvrent la terre et l’obscurité profonde enveloppe les peuples, mais sur toi l’Éternel se lèvera, sur toi sa gloire apparaîtra. Des nations marcheront à ta lumière, et des rois à la clarté de ton aurore.

Ésaïe 60.1-3

Le prophète Sophonie va dans le même sens :

Alors je donnerai aux peuples des lèvres pures afin qu’ils fassent tous appel au nom de l’Éternel pour le servir d’un commun accord.

Sophonie 3.9

Ce qui est annoncé là est l’accomplissement de la promesse faite à Abraham : une bénédiction pour toutes les nations ! Ainsi, il nous faut constater que la « mise à part » d’Israël n’était que la préfiguration, dans un premier temps, d’une « mise à part » plus fondamentale qui devait s’accomplir à plus long terme. Une mise à part définie non plus selon une réalité ethnique ou par un système rituel, mais par une communion authentique avec le Seigneur.

Et c’est ainsi que nous arrivons à Jésus, et au peuple qu’il a fondé, l’Église. Le mot « église » vient du grec ekklèsia, qu’on peut traduire par « assemblée », et qui est une traduction du mot hébreu qahal lequel désignait le rassemblement du peuple d’Israël pour écouter la Parole de Dieu ou adorer Dieu.

II. L’Église : peuple de Jésus-Christ

1- La nouvelle communauté des disciples de Jésus

Jésus est venu exercer son ministère en Israël, dans la continuité de la relation entre Dieu et son peuple. Il s’est révélé comme le Roi légitime d’Israël, le Fils de David, celui qui devait hériter d’un règne éternel sur son peuple, selon la promesse de plusieurs textes de l’Ancien Testament (II Samuel 7, Psaume 2, Psaume 110…). Jésus est le « Roi de Dieu », le Roi venu ramener Israël à son Dieu.

Il est frappant de constater que dans son ministère avant sa mort et sa résurrection, Jésus s’adresse en priorité à Israël. C’est ce qu’il explique à la femme syro-phénicienne qui l’appelle à l’aide :

Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la communauté d’Israël.

Matthieu 15.24

Toutefois, cet accent prioritaire sur Israël était provisoire. Il faut noter aussi que Jésus distingue dans son enseignement les Israélites qui le rejettent et ceux qui deviennent ses disciples. Écoutons par exemple cette célèbre parole de Jésus :

C’est moi qui suis le chemin, la vérité et la vie. On ne vient au Père qu’en passant par moi.

Jean 14.6

On oublie parfois que si ces paroles ont une portée universelle, elles sont encore prononcées dans un contexte où Jésus exerce son ministère presque exclusivement auprès du peuple Juif. Il redéfinit donc ici le « peuple de Dieu », le peuple qui peut être en relation avec le Père, en affirmant que c’est par lui et par lui seulement qu’on a accès à cette relation.

En d’autres termes, ce n’est plus le fait d’appartenir à Israël qui fait qu’on appartient au « peuple de Dieu », mais c’est le fait d’appartenir à Jésus-Christ ! Cette affirmation ne contredit pas le choix d’Israël comme peuple avec lequel Dieu est entré en alliance en premier ; mais elle revient à dire que les promesses adressées à Israël trouvent leur accomplissement en Jésus. Jésus voulait que ses compatriotes placent leur confiance en lui comme Messie d’Israël, et par lui reçoivent pleinement l’héritage promis depuis toujours par Dieu à son peuple.

Ainsi, alors même qu’il s’adresse à Israël exclusivement ou presque, Jésus redéfinit déjà l’appartenance au peuple de Dieu comme étant indissociable de la foi en lui. C’est dans ce contexte qu’il prononce cette autre parole bien connue :

“… là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.

Matthieu 18.20

La communauté que fonde Jésus, l’Église, est une communauté qui se rassemble dans le nom de Jésus, c’est-à-dire sous son autorité, et pour accomplir sa mission.

Même s’il se concentre sur le peuple juif au cours de son ministère « terrestre », Jésus montre un intérêt marqué pour les étrangers, les non-Juifs. Il en guérit plusieurs. Il annonce de diverses manières qu’eux aussi seront concernés par la délivrance qu’il vient apporter. Mais c’est après sa mort sur la croix et sa résurrection que Jésus va brusquement « ouvrir » aux païens les portes du royaume de Dieu. Et c’est là un nouveau tournant. Je cite cette parole célèbre du Ressuscité :

Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.

Matthieu 28.19-20

L’Église, le peuple de Jésus-Christ, est donc appelé à s’élargir bien au-delà des frontières géographiques et ethniques d’Israël pour atteindre « toutes les nations ». Il n’y a pas de « remplacement » d’Israël, mais un accomplissement de la promesse ancienne faite à Abraham : Israël, désormais comme incarné dans son Messie, Jésus, est en bénédiction pour toutes les nations ; et le peuple de Dieu, qui tire ses racines d’Israël (pour reprendre le vocabulaire de l’apôtre Paul dans la lettre aux Romains) est défini non plus par l’origine ethnique ou géographique, mais par l’appartenance à Jésus-Christ. Le peuple de Dieu est le peuple des disciples de Jésus-Christ. Et c’est ce peuple que le Nouveau Testament appelle « l’Église ».

2- L’Église, peuple de la nouvelle alliance

Le prophète Jérémie, écrivant au VIIe siècle avant Jésus-Christ, annonce un changement profond dans la relation entre Dieu et son peuple. Il parle en termes d’une « nouvelle alliance » :

Voici que les jours viennent, déclare l’Éternel, où je conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda une alliance nouvelle. Elle ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs ancêtres le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte. Eux, ils ont violé mon alliance, alors que moi, j’étais leur maître, déclare l’Éternel. Mais voici l’alliance que je ferai avec la communauté d’Israël après ces jours-là, déclare l’Éternel : je mettrai ma loi à l’intérieur d’eux, je l’écrirai dans leur cœur, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Personne n’enseignera plus son prochain ni son frère en disant : « Vous devez connaître l’Éternel ! » car tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand d’entre eux, déclare l’Éternel. En effet, je pardonnerai leur faute et je ne me souviendrai plus de leur péché.

Jérémie 31.31-34

Ce texte est très important, parce qu’il évoque un véritable « changement de régime » dans la relation entre Dieu et son peuple. La loi de Moïse, cette alliance conclue, comme dit Dieu au verset 32, « le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte », sera remplacée par une nouvelle alliance. Cette alliance sera caractérisée par une loi non plus extérieure mais intérieure, comme une intériorisation de la volonté de Dieu et de la relation filiale avec lui. Et cette nouvelle alliance sera fondée – fin du verset 34 – sur le pardon de Dieu. Or, lorsque Jésus prend le dernier repas avec ses disciples, voici ce qu’il leur dit :

Après le souper, il prit de même la coupe et la leur donna en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui est versé pour vous. »

Luc 22.20

Jésus appelle ses disciples à prendre régulièrement cette « coupe de la nouvelle alliance » pour (entre autres choses) rappeler et célébrer cette relation avec Dieu fondée sur son pardon. Ce pardon, Jésus s’apprête, au moment où il prononce ces paroles, à l’accomplir par sa mort sur la croix.

C’est quelques semaines après ce dernier repas que l’Église fut en quelque sorte officiellement fondée, lors de la fête juive de la Pentecôte. Dieu commença à répandre son Saint-Esprit sur son nouveau peuple, marquant la pleine entrée en vigueur de la nouvelle alliance.

L’Église est donc le peuple de la nouvelle alliance. C’est un peuple international, fondé sur la foi en Jésus-Christ. Pour le croyant, cette foi donne accès à la réconciliation avec Dieu par le sacrifice de la croix. C’est un peuple transformé par le Saint-Esprit, lequel vient, malgré toutes nos résistances, petit à petit, nous changer de l’intérieur. C’est un peuple de pécheurs… mais de pécheurs pardonnés, et que Dieu a mis à part pour lui.

Nous avons jusqu’ici parlé de l’Église au sens du peuple de Jésus-Christ dispersé partout dans le monde ; ce qu’on appelle habituellement « l’Église universelle ». Cette Église universelle s’« incarne » dans des communautés humaines qui se rassemblent concrètement pour vivre la réalité de l’Église ensemble. C’est sur cette distinction entre Église universelle et Église locale que nous nous penchons maintenant.

3- Église universelle et Église locale

Comme le soulignent Alain Nisus et al. dans leur ouvrage Pour une foi réfléchie1, on peut repérer globalement deux sens du mot « Église » dans le Nouveau Testament :

  1. Un sens local : une Église est une communauté de chrétiens en un lieu et un temps donnés – c’est pourquoi on trouve souvent le mot au pluriel, on parle « des Églises ».
  2. Un sens universel : l’Église est l’ensemble des rachetés de tous les temps et de tous les lieux ; le singulier permet de dire l’unité de l’Église. Il y a des Églises qui sont des antennes locales de l’Église au sens universel. »

Ainsi, l’Église universelle correspond à l’ensemble des disciples authentiques de Jésus-Christ répandus dans le monde. Notons que l’« authenticité » dont nous parlons ici n’est parfaitement discernable que par Dieu lui-même. Il ne s’agit donc pas de prétendre que nous saurions nous-mêmes délimiter avec exactitude les « frontières » de ce qui constitue l’Église universelle. Bien entendu et malheureusement, il existe des personnes qui font extérieurement profession de foi en Jésus-Christ mais ne lui appartiennent pas réellement.

Toutefois, nous lisons en Jérémie 31.31-34 qu’au sein du peuple de la nouvelle alliance, tous connaissent le Seigneur. L’Église universelle est un peuple de croyants. Tous ceux qui sont sincèrement disciples de Jésus-Christ, qui ont donc répondu à l’appel lancé par Jésus après sa résurrection (« faites de toutes les nations mes disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à mettre en pratique tout ce que je vous ai prescrit… » – Matthieu 28.18-19), tous ceux-là font partie du peuple de Jésus-Christ, de son Église. Cette réalité transcende évidemment toute tradition chrétienne particulière, toute dénomination. Les différences entre dénominations ne sont pas sans importance, mais elles ne peuvent pas prendre le pas sur une réalité qui appartient à Dieu : la réalité de son peuple, le peuple de Jésus-Christ.

Parce qu’elle traverse les âges, et aussi parce que les apparences peuvent être trompeuses et que nous ne savons pas parfaitement qui appartient à Jésus-Christ, la réalité de l’Église universelle nous échappe d’une certaine manière. Elle ne nous échappe pas complètement : lorsque nous rencontrons des frères et sœurs issus d’autres Églises locales (et souvent d’autres pays et cultures) mais qui partagent pour l’essentiel la même foi en Jésus-Christ, nous faisons l’expérience de l’Église universelle. Mais nous ne pouvons pas vivre en communion au jour le jour avec tous les chrétiens du monde entier et de toutes les époques !

C’est pour cette raison que Dieu, dans sa sagesse, a voulu l’Église locale. Celle-ci est comme une « antenne » de l’Église universelle. Pour illustrer brièvement cette réalité, prenons l’exemple de la Croix-Rouge : il y a dans beaucoup de communes de France une « antenne » de la Croix-Rouge, un petit local qui représente dans un territoire donné les intérêts de cette organisation internationale. De manière analogue, l’Église locale est une antenne de l’Église universelle.

Une image peut-être plus parlante encore est celle de l’ambassade. Une ambassade, par définition, se trouve en territoire étranger, dont elle respecte dans une certaine mesure les us et coutumes, mais elle sous la juridiction d’un autre État. Elle est sous l’autorité de cet autre État et représente ses intérêts. De même, l’Église locale peut être comparée à une ambassade de l’Église universelle. Elle est placée sous la seigneurie de Jésus-Christ, et en ce sens, elle anticipe aussi le jour où le règne de Jésus-Christ sera établi sur toute la création.

Le Nouveau Testament n’envisage jamais l’appartenance à l’Église universelle sans que cette appartenance se concrétise dans une Église locale. Le chrétien est intégré dans un corps, le corps de Christ. C’est ce qu’écrit l’apôtre Paul, qui va jusqu’à dire que le baptême, au-delà du témoignage personnel qu’il représente, signifie aussi l’intégration dans un corps. Citons à ce sujet la première lettre aux Corinthiens :

En effet, que nous soyons juifs ou grecs, esclaves ou libres, nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps et nous avons tous bu à un seul Esprit. Ainsi, le corps n’est pas formé d’un seul organe, mais de plusieurs. Si le pied disait : « Puisque je ne suis pas une main, je n’appartiens pas au corps », ne ferait-il pas partie du corps pour autant ? Et si l’oreille disait : « Puisque je ne suis pas un œil, je n’appartiens pas au corps », ne ferait-elle pas partie du corps pour autant ? (…) Vous êtes le corps de Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.

I Corinthiens 12.13-16, 27

Pour l’apôtre Paul comme pour les autres auteurs du Nouveau Testament, la vie chrétienne se vit avec d’autres chrétiens. Elle se vit dans une communauté où Dieu est adoré, où Jésus-Christ est reconnu comme Seigneur, par l’œuvre du Saint-Esprit. Elle se vit dans une communauté où on se met ensemble à l’écoute de la Parole de Dieu, on pratique l’amour et le service les uns envers les autres.

Or cette réalité-là ne peut être vécue que ponctuellement avec l’Église universelle. Elle se vit régulièrement, en revanche, au sein de l’Église locale. C’est dans l’Église locale que le chrétien pourra vivre la foi avec ses frères et sœurs, cette dimension communautaire étant incontournable dans le plan de Dieu pour la vie chrétienne. Dans le livre des Actes, Luc décrit la vie communautaire des premiers chrétiens :

Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières.

Actes 2.42

Pour être enseignés, pour vivre ensemble la communion fraternelle, pour rompre le pain de la sainte cène, et pour prier les uns pour les autres, il faut une communauté chrétienne. Il faut un rassemblement de frères et sœurs qui se connaissent, qui s’aiment de manière concrète, et qui adorent ensemble Jésus-Christ. C’est la vocation de l’Église locale, qui concrétise la réalité du corps du Christ.

Et c’est cette vie du « corps » qui nous amène à deux derniers aspects de la doctrine de l’Église que nous aborderons très brièvement.

4- Le « gouvernement » de l’Église

Toutes les Églises chrétiennes reconnaissent (ou devraient reconnaître !) que c’est Jésus-Christ qui exerce son autorité sur l’Église. C’est lui notre Seigneur. Cette vérité ne contredit en rien le fait que, le plan de Dieu prévoit des responsables dans l’Église locale, des hommes (et des femmes, selon les points de vue !) qui ont vocation de conduire ces communautés.

Mais la nature des fonctions des responsables, comme l’organisation de leurs responsabilités, varient beaucoup selon les traditions et modèles ecclésiologiques. Nous pouvons citer trois grands modèles de « gouvernement » de l’Église qui existent au sein du monde chrétien (et dont on trouve des représentants dans différents milieux évangéliques). Bien entendu, au sein de ces trois modèles, on peut trouver des différences significatives de fonctionnement.

  • Le modèle épiscopal. Il repose sur le ministère des évêques, ceux-ci étant des responsables « supra-locaux », ayant autorité sur plusieurs Églises locales et leurs conducteurs locaux. C’est le modèle suivi par l’Église catholique, les Églises orthodoxes, ou encore l’Église anglicane.
  • Le modèle presbytéro-synodal. Ce modèle comporte un double niveau d’autorité : d’une part les anciens ou conseillers presbytéraux qui sont responsables des Églises locales, et d’autre part le synode qui regroupe des responsables et représentants de ces paroisses. Le synode a l’autorité pour prendre certaines décisions qui engagent toutes les Églises locales. C’est le modèle adopté dans les Églises réformées (notamment l’Église protestante unie de France) et dans les Églises évangéliques libres.
  • Enfin, le modèle congrégationaliste, qui reflète la pratique des Églises de professants, et qui correspond au modèle adopté par les unions membres du Réseau FEF. Dans le fonctionnement congrégationaliste, chaque Église locale se gouverne elle-même (sous l’autorité de Jésus-Christ, bien sûr !). Ce fonctionnement s’accompagne généralement de liens de solidarité forts avec d’autres Églises de la même union, celle-ci pouvant également prendre des décisions qui s’appliquent à toute l’union… mais uniquement si celles-ci sont validées au niveau local. Il n’y a dans ce modèle, en effet, aucune instance humaine qui serait placée au-dessus des Églises locales. Une union congrégationaliste peut, certes, décider d’exclure de son sein une Église locale qui se trouverait en porte-à-faux avec ses convictions doctrinales ou éthiques. En revanche, elle n’a pas l’autorité d’intervenir de manière décisionnelle dans la vie interne de cette Église locale ; elle ne peut pas, par exemple, renvoyer un pasteur ou dissoudre un conseil. De telles décisions ne peuvent être prises que par les anciens ou le conseil de l’Église locale en question.

Le congrégationalisme met aussi l’accent sur la responsabilité partagée des membres d’une Église : ceux-ci sont redevables aux responsables pour leur conduite et leur doctrine, mais inversement, les responsables sont redevables à l’assemblée de leur doctrine et de leur conduite, à la lumière de la Parole. Bien sûr, cette redevabilité mutuelle n’est pas absente des autres modèles décrits plus haut ; mais, dans leur cas, des instances supra-locales peuvent intervenir avec autorité dans ces situations, là où le congrégationalisme n’envisage pas d’autre autorité que celle des Églises locales.

Dans le système congrégationaliste, on reconnaît souvent les deux offices qui sont le plus souvent évoqués dans le Nouveau Testament : les anciens et les diacres. Les anciens sont les responsables spirituels de l’Église. L’usage conduit la plupart des Églises à appeler « pasteurs » ceux des anciens qui se consacrent « à plein temps » à leur ministère ; mais fondamentalement, en termes de responsabilité, il s’agit du même ministère. Les diacres, quant à eux, assistent les anciens et exercent assez souvent des fonctions pratiques ou administratives. Il est à noter que leur ministère est associé, dans le Nouveau Testament, à une exigence spirituelle très semblable à celle qui repose sur les anciens. Ainsi, pour l’apôtre Paul, les diacres doivent « être respectables, n’avoir qu’une parole et ne pas s’adonner à la boisson ni être attirés par le gain. Ils doivent garder le mystère de la foi avec une conscience pure. » (I  Timothée 3.8-9)

5- Les sacrements, marqueurs identitaires de l’Église

a. Les sacrements, éléments constitutifs de l’Église

Il nous faut commencer par évoquer brièvement le mot « sacrement ». Les protestants évangéliques sont souvent « allergiques » à ce vocable parce qu’ils l’associent à la conception catholique des sacrements : l’idée selon laquelle l’Église opère une médiation entre le croyant et Dieu à l’aide de certains rites qui, selon elle, confèrent par eux-mêmes la grâce de Dieu. Dans le dogme catholique, en effet, les sacrements sont vus comme ex opere operanto (« (efficaces) de par l’action opérée »), indépendamment de la foi ou de l’intention de celui qui les administre.

Mais à l’origine, le mot « sacrement » renvoie plutôt à la notion d’engagement. Il n’y a donc pas de raison intrinsèque de rejeter ce mot. C’est pourquoi, en langage théologique même évangélique, on n’hésite généralement pas à parler de sacrement, même si le mot est rarement utilisé dans le langage courant de nos Églises.

Venons-en à la question de fond. Quelle sont la nature et la fonction des sacrements ? Nous aborderons cette question à partir d’une question préalable : qu’est-ce qui fait qu’une Église est une Église ? Interrogeons-nous à ce sujet de manière très concrète : est-ce que trois chrétiens qui se retrouvent quelque part pour prier, forment « automatiquement » une Église ? Ou bien faut-il … un pasteur ? un prêtre ? un évêque ? Un bâtiment ?

Presque tous les chrétiens, depuis les débuts de l’Histoire de l’Église, affirment que pour qu’il y ait « Église », il faut que certaines choses soient présentes, mandatées par Jésus lui-même.

Dans la tradition catholique, on considère qu’il y a sept sacrements. Nous ne nous étendrons pas ici sur cet enseignement qui n’est pas le nôtre.

Tous les protestants, y compris évangéliques, estiment pour leur part qu’il y a deux sacrements : le baptême et la cène. En d’autres termes, « pour qu’il y ait Église, il faut que le baptême et la cène soient pratiqués ». Jean Calvin allait un peu plus loin en disant qu’il y a Église authentique là où la Parole est prêchée fidèlement et les sacrements – le baptême et la cène – administrés de manière juste.

Certes, on ne trouvera ces affirmations directement dans aucun verset biblique. C’est en recoupant les données du Nouveau Testament que l’on parvient à cette conclusion. On constate en effet que :

  • le baptême est un point d’entrée incontournable pour devenir disciple de Jésus. Il ne précède pas la foi, mais la signifie publiquement : Matthieu 28.19 ; Actes 2.38 ; 8.36-38 ; 9.18-19 ; 10.48 ; 16.15 ; Romains 6.3-4, I Corinthiens 1.16, etc. ;
  • les disciples de Jésus sont appelés à se rassembler localement avec d’autres disciples : Matthieu 18.15-20 ; Actes 2.42 ; I Corinthiens 12.12-27 ; Hébreux 10.25, etc. ;
  • les disciples de Jésus sont appelés à prendre régulièrement la cène : Matthieu 26.26-29 ; Marc 14.22-25 ; Luc 22.15-20 ; I Corinthiens 10.15-17 ; 11.20-29).

Ainsi, le baptême et la cène sont des « traditions » incontournables, demandées par le Seigneur lui-même, pour la vie chrétienne. Or la vie chrétienne se vit toujours dans une Église locale. C’est la correspondance de ces deux réalités enseignées dans le Nouveau Testament qui nous permet de dire que le baptême et la cène sont des « marqueurs identitaires » essentiels de l’Église.

Il convient maintenant de dire quelques mots des grands débats à propos des sacrements.

b. Les grands débats concernant les sacrements

Comme nous l’avons vu un peu plus haut, la doctrine catholique enseigne que les sacrements sont efficaces au sens où ils confèrent concrètement une grâce de Dieu. Ainsi, l’administration du baptême sauve le baptisé de l’enfer en effaçant le péché originel. Le geste administré ne se contente pas de signifier le salut, il le confère réellement, effectivement.

Il en va de même pour la cène, appelée dans la tradition catholique « eucharistie ». Selon cette doctrine, en participant à l’eucharistie, le croyant bénéficie d’une manifestation directe, physique, concrète de Jésus-Christ qui est corporellement présent dans la consommation de l’hostie. Une transformation a lieu lorsque le prêtre consacre l’hostie. Il s’agit de la doctrine de la transsubstantiation. Nous n’évoquerons pas ici la doctrine orthodoxe qui est relativement proche de la compréhension catholique.

Au sein même du protestantisme, de vifs débats persistent sur la nature et la fonction des sacrements, même si aucune expression du protestantisme ne rejoint la doctrine catholique. Nous évoquerons d’abord le débat sur le baptême, puis sur la Cène.

Le baptême

Une proportion importante des Églises protestantes (notamment les traditions luthérienne, réformée et anglicane) a maintenu la pratique du baptême des nourrissons. Certains évangéliques, généralement au sein des traditions que nous venons d’évoquer, adhèrent également à une conception dite « pédobaptiste » en langage théologique. Il est important de souligner que des frères et sœurs dont les convictions seraient, sur presque tous les autres points de doctrines, très proches de celles des Églises du Réseau FEF, pratiquent le baptême des nourrissons. Cette aile du monde évangélique est très minoritaire en France, mais nettement plus présente dans d’autres pays (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis).

Chez les protestants qui baptisent les bébés, le geste est le même que dans la tradition catholique, mais son sens est très différent. On compare souvent le baptême à la circoncision dans l’Ancien Testament : c’est le signe de l’alliance, des promesses de Dieu. Celui qui reçoit le baptême n’est pas sauvé par ce baptême – il n’y a pas d’efficacité directe du geste comme dans le catholicisme – mais il est appelé à recevoir par la foi les promesses qui sont signifiées par le baptême. Le fait de baptiser l’enfant signifie qu’il est reconnu comme faisant partie du peuple de Dieu. Il faudra toutefois que la foi rende cette appartenance vivante, effective.

Pour nous, protestants qui ne baptisons pas les nourrissons ou les très jeunes enfants, comme c’est le cas dans l’ensemble des Églises du Réseau FEF, nous estimons que le baptême est un témoignage public, donné en conscience, de la foi du ou de la personne baptisée. Le baptême est le point de départ de la vie chrétienne – et peut-on parler de vie chrétienne en dehors d’une foi authentique en Jésus-Christ ?

Il serait toutefois simpliste et erroné d’estimer que le débat sur le baptême se joue uniquement sur les notions de foi et de conscience. En réalité, les deux positions (pédobaptisme et crédobaptisme) sont liées à deux doctrines de l’Église différentes. D’un côté (pédobaptiste), on estime que l’Église est analogue à Israël dans l’ancienne alliance, au sens où il y a un peuple « visible », à qui les commandements et promesses de Dieu sont adressés, mais dont certains membres ne connaissent pas authentiquement le Seigneur. Tous les garçons israélites se faisaient circoncire, non pas « en conscience » mais parce qu’ils faisaient partie du peuple auquel les promesses étaient adressées. De même, affirment nos frères et sœurs pédobaptistes, la circoncision fait référence à l’appartenance du nourrisson, en tant qu’enfant de croyants, au peuple « visible » de Dieu, à qui les promesses de Dieu, en Jésus-Christ, sont adressées. L’Église espère et prie que ces enfants, nés au sein du peuple de Dieu, placeront effectivement leur foi en Jésus-Christ en temps voulu. Ce faisant, ils confirment leur baptême, ce dernier n’exprimant pas la foi du baptisé mais plutôt la grâce qui s’exprime dans les promesses de Dieu.

Les crédobaptistes (que nous sommes) répondent à ces arguments que, précisément, la nouvelle alliance est différente de l’ancienne alliance. Le cœur même de cette nouvelle alliance est l’intériorisation de la loi de Dieu (« … je placerai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes, je la graverai sur leur cœur », Jérémie 31.33) et la connaissance authentique du Seigneur (« Tous me connaîtront », verset 34). Selon la promesse de Jérémie 31.31-34, « tous connaîtront [le Seigneur] » au sein du peuple de la nouvelle alliance. L’Église, peuple de la nouvelle alliance, est un peuple de croyants. Bien entendu, il existe des personnes qui sont liées aux Églises en apparence, ou par appartenance institutionnelle, sans pour autant connaître le Seigneur. Mais cette distinction de fait n’est pas une distinction de droit. Ces personnes ne font pas authentiquement partie du peuple de Dieu. Si donc le baptême est le signe de la nouvelle alliance – ce que tous les protestants affirment – il est naturel que le baptême soit appliqué à ceux qui appartiennent à cette alliance : des croyants régénérés.

La cène

Pour ce qui concerne la cène, on trouve dans le protestantisme trois positions principales :

  • la position luthérienne, qui reste par certains aspects proches de la position catholique. Luther parle d’une présence réelle de Jésus-Christ, et par un mystère, du fait que le pain et le vin sont en même temps le corps et le sang de Jésus et simplement du pain et du vin ;
  • la position calvinienne ou réformée, qui estime que la cène accompagne la proclamation de la Parole de Dieu comme un « signe » et un « sceau ». Il n’y a pas de mystère « physique » qui a lieu, mais la cène joue un rôle très particulier pour affermir le croyant en scellant pour le croyant, par le Saint-Esprit, l’écoute de la Parole ;
  • la position zwinglienne qui voit dans la cène un simple mémorial : on rappelle symboliquement, par le pain et le vin, l’œuvre de Jésus sur la croix.

Nos Églises évangéliques françaises sont généralement plus proches de cette dernière position. Un débat légitime peut toutefois exister en notre sein, me semble-t-il, entre la position « mémorielle » (zwinglienne) et celle de Calvin. Cette dernière, qui affirme que la cène est l’occasion de joindre le geste à la Parole, un temps que le Saint-Esprit utilise pour sceller en nous la vérité de l’Évangile, peut nous encourager tout au moins à considérer que la pratique régulière de la cène contribue à maintenir l’Évangile du Christ crucifié et ressuscité au centre de la foi et de la vie de l’Église.

conclusion

L’Église n’est pas un détail du plan de Dieu, une simple occasion pour des croyants de se réunir et de s’encourager mutuellement. L’Église est en plein cœur de la rédemption, et fait partie intégrante de la Bonne Nouvelle. Le Nouveau Testament ne connaît pas de foi chrétienne vécue en dehors d’une communauté de croyants. Car Dieu a voulu sauver non pas une collection d’individus mais un peuple, appelé à l’adorer éternellement. À la fin des temps, dans la nouvelle création, nous vivrons pour toujours « en Église », en tant que peuple de Dieu rassemblé pour l’adorer. L’Église, dans sa réalité locale comme universelle, témoigne de cette espérance et nous donne l’occasion d’anticiper cette glorieuse réalité.

Je te demande qu’ils soient tous un. Comme toi, Père, tu es en moi et comme moi je suis en toi, qu’ils soient un en nous, pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, afin qu’ils soient un, comme toi et moi nous sommes un, moi en eux et toi en moi. Qu’ils soient parfaitement un et qu’ainsi le monde puisse reconnaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les aimes comme tu m’aimes ! (Jean 17.21-23)

Sommaire Confession de foi pratique

Notes de bas de page
  1. Alain NISUS et al. Pour une foi réfléchie, Genève, Maison de la Bible, 2011, p. 561. ↩︎

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