Article 6 – Le salut par Jésus-Christ (Confession de foi pratique)

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Introduction

Dans le cadre de ses missions, le Comité théologique du Réseau FEF a réinvesti la Confession de foi du Réseau FEF pour décliner chaque article de manière pratique. L’objectif est de mettre en lumière les points doctrinaux qui rassemblent nos unions membres et d’équiper nos assemblées à vivre concrètement ces réalités essentielles. Voici le sommaire des différents articles :


Le salut par Jésus-Christ

Nous croyons que c’est par grâce que les hommes peuvent être sauvés, par le moyen de la foi. Le salut est pleinement accordé à toute personne qui, à la lumière de l’Évangile et sous l’action du Saint-Esprit, met sa confiance en Dieu, se repent de ses péchés et se réclame de l’œuvre expiatoire accomplie à la croix. Uni à Christ et ainsi placé au bénéfice de sa mort et de sa résurrection, le pécheur reçoit le pardon de Dieu pour ses fautes, obtient les mêmes droits que s’il avait obéi à la Loi de Dieu, et bénéficie de la faveur divine ; il est baptisé dans l’Esprit : l’Esprit le régénère, lui communique la vie éternelle et l’intègre au peuple de Dieu. Sans atteindre ici-bas la perfection, il s’engage dans une vie de piété, d’obéissance à Dieu, de témoignage rendu à l’Évangile et de service à la gloire de Dieu, manifestant ainsi par ses actes l’authenticité de sa foi et de sa repentance.

Nous croyons que, par sa mort, Jésus-Christ a porté nos souffrances et nos maladies et qu’il nous a ainsi acquis la rédemption de notre corps. En conséquence, nous expérimenterons à son retour une pleine et entière guérison. Pour le temps présent, Dieu peut accorder s’il lui plaît une guérison extraordinaire par anticipation sur l’étape finale de la rédemption. Dans le cas contraire, il appelle le chrétien à le glorifier dans la maladie, la souffrance ou la mort.

Confession de foi Réseau FEF

Le Kaleidoscope de la croix

par Jacques Nussbaumer

C’est peu dire que d’affirmer que l’événement de la croix présente un caractère central pour la foi chrétienne. Il appartient au cœur de l’Évangile, même s’il ne se comprend que dans le cadre plus large de la naissance, de la vie et du ministère de Jésus, tout comme de la résurrection et de l’ascension qui l’ont suivi. On doit même affirmer que la croix constitue le moment de basculement de la grande histoire non seulement du peuple d’Israël, mais aussi du monde, ouvrant à une compréhension nouvelle de l’action de Dieu dans la création telle que nous la raconte l’ensemble du récit biblique. Mais comment la justice et le salut peuvent-ils venir du supplice d’un homme cloué sur le bois, il y a deux mille ans, sur une montagne près de Jérusalem, et suite à un procès qui avait tout d’un déni de justice ? Dans cet article, nous proposons un regard d’ensemble sur les diverses formulations bibliques et leur contribution à la compréhension de l’œuvre de la croix, qui nous amènera à nous interroger sur la manière dont il convient d’élaborer la doctrine de la rédemption.

1- La richesse biblique et ses multiples motifs

Pour rendre compte de ce qui s’est passé à la croix entre Dieu et les hommes, l’Écriture utilise différents « motifs » tirés à la fois de l’expérience commune des lecteurs et surtout de cette grande histoire de Dieu avec les hommes. Ce sont des métaphores qui permettent de comprendre l’œuvre unique et incomparable de la croix à l’aide d’images issues des catégories et de l’histoire biblique. Ainsi, le thème du rachat (rédemption) renvoie par exemple autant à l’exode, où Dieu délivre les hébreux pour les constituer en « nation sainte » (Ex 19.4-6), qu’à l’affranchissement des esclaves dans le monde gréco-romain. Le thème de l’offrande (Ep 5.1), du sacrifice (Hé 10.12) et de l’expiation (Hé 2.17 ; Rm 3.25 ; 1 Jn 2.2) est bien sûr tiré des dispositions que Dieu a donné à son peuple par l’intermédiaire de Moïse dans le cadre de l’alliance du Sinaï qui donnait le cadre de la relation du peuple avec Dieu. Ce motif constituait une culture partagée dans le judaïsme du premier siècle tout en permettant certains échos – limités, et nécessitant d’être corrigés – à d’autres formes de culte. La croix est également, de façon paradoxale, présentée comme une victoire sur le péché, sur le monde ou sur le diable (Col 2.15). On pourrait encore développer les motifs de la réconciliation ou du pardon.

L’Écriture utilise différents « motifs » tirés à la fois de l’expérience commune des lecteurs et surtout de cette grande histoire de Dieu avec les hommes.

Des motifs distincts

Il faut noter et prendre en compte la richesse de chaque motif, mais aussi l’aspect distinct qu’il met en lumière sous la plume des auteurs bibliques. Le thème du rachat et de la rançon peut par exemple servir à souligner ce qu’il en a coûté de racheter l’homme esclave du péché (1 Co 7.23). Le thème de la victoire de Christ exprime le caractère définitif de la délivrance acquise à la croix, et le triomphe irréversible de Celui que nous appelons Seigneur (Col 2.15 ; voir Jn 19.30). Le thème de l’expiation rappelle que le péché entraîne la mort (voir Rm 5 ; 6.23), une mort figurativement transférée dans l’ancienne alliance sur la victime expiatoire, et réellement assumée par Jésus pour et à la place de son peuple (Hé 9.22s). Ces motifs, selon la réalité à laquelle ils renvoient, invitent donc à discerner comment chacun contribue à la compréhension de l’œuvre de la croix par son apport distinctif.

Il faut noter et prendre en compte la richesse de chaque motif, mais aussi l’aspect distinct qu’il met en lumière sous la plume des auteurs bibliques.

Des motifs entrelacés

En même temps, plusieurs textes du Nouveau Testament n’hésitent pas à associer ces motifs, jonglant entre eux dans un même propos. Par exemple, le texte de Romains 3.23-25 parle de délivrance, d’expiation, de justice, de châtiment… Il convient donc de distinguer ces différents langages pour mettre en lumière leurs aspects distincts, mais aussi de les articuler. S’il a été nécessaire de recourir à plusieurs motifs, c’est que la mort de Celui qui est l’accomplissement de la Loi, la récapitulation de toute chose et le Seigneur de gloire dépasse ce que chacun d’entre eux, et même ce que toutes ces métaphores réunies peuvent en dire. Néanmoins, l’articulation entre les différents motifs permet de les organiser en une sorte de mosaïque qui, sans être exhaustive, offre une compréhension significative et équilibrée de l’œuvre de la croix.

S’il a été nécessaire de recourir à plusieurs motifs, c’est que la mort de [Jésus-Christ] dépasse ce que chacun d’entre eux, et même ce que toutes ces métaphores réunies peuvent en dire.

Des images, une seule (théo-)logique ?

Le recul de l’histoire est intéressant à cet égard. Les Pères de l’Église ont pu utiliser l’un ou l’autre de ces motifs bibliques. Toutefois, durant les premiers siècles, le thème de la délivrance a été particulièrement sollicité dans un monde païen hanté par la peur des esprits et peuplés de multiples dieux qu’il convenait de ménager. La compréhension et l’explication de l’œuvre de la croix a en effet nécessairement un caractère contextuel, et les explications plus systématiques élaborées depuis saint Anselme de Cantorbéry (XIe siècle) montrent des affinités avec la culture dans laquelle elles ont été pensées (le rapport féodal seigneur-vassal, le droit romain, etc). Ces modèles théologiques plus systématiques tendent d’ailleurs à privilégier un aspect, ou un motif, pour le constituer en une (théo-) logique qui gouvernerait l’ensemble des données scripturaires. Il est donc probablement judicieux de considérer les élaborations doctrinales sur la mort de Christ non comme des formulations définitives, mais comme des ressources théologiques précieuses pour penser la réalité dont elles veulent rendre compte et la formuler aujourd’hui.

Il est probablement judicieux de considérer les élaborations doctrinales sur la mort de Christ non comme des formulations définitives, mais comme des ressources théologiques précieuses pour penser la réalité dont elles veulent rendre compte et la formuler aujourd’hui

La croix, victoire de Christ et bataille de chrétiens ?

En revanche, en respectant le caractère kaléidoscopique des données scripturaires, on peut à la fois apprécier ce que chaque approche éclaire de l’œuvre de la croix, tout en la resituant par rapport aux autres en fonction de la grande histoire de Jésus-Christ qui va de la Genèse à l’Apocalypse. Il s’agit alors plutôt d’organiser les aspects, les dimensions de la croix qu’évoquent, de façon distincte et entrelacée, les motifs bibliques. Une telle approche peut permettre de sortir des impasses du « ou bien … ou bien » qu’affectionnent certes certains amateurs de théologie populaire, mais tendant à créer des polémiques artificielles et stériles : Êtes-vous plutôt « christus victor », insistant sur la victoire de la croix, ou « substitution pénale », soulignant le châtiment assumé par Jésus pour les siens ? Dans les travaux récents, on constate une nette atténuation de cette simple opposition entre les modèles, mais de nombreuses contributions cherchent néanmoins à démontrer – non sans arguments ! – que l’un des motifs bibliques est prioritaire et, en quelque sorte, « gouverne » tous les autres. Ne serait-il pourtant pas plus raisonnable, pour respecter la distinction et l’articulation entre chaque motif, de discerner de façon transversale les quelques aspects fondamentaux qu’une théologie équilibrée doit intégrer ?

2- Les dimensions de la rédemption

Le recours à plusieurs motifs pour expliquer ce qui s’est joué à Golgotha incite le chrétien à s’interroger : faut-il ramener l’ensemble des images à une seule (théo-) logique ? L’un des aspects de la croix gouverne-t-il tous les autres ? L’histoire de la théologie a pu longtemps pencher en ce sens, mais les travaux plus récents des biblistes comme des dogmaticiens nuancent cette pensée. La croix n’est jamais simplement un cas particulier d’une logique intramondaine, qu’elle soit juridique (Jésus comme prenant une « peine légale »), politique (Jésus comme conquérant un pouvoir politique), ou relationnelle (Jésus comme manifestant le plus haut degré de l’amour humain)… Chacune de ces logiques contribue à la compréhension de la croix, mais la mort de Christ reste un événement sui generis, de son propre genre. Sa réduction à une de ces logiques risquerait de perdre l’équilibre biblique, et surtout d’aboutir à des versions assez caricaturales, projetant sur Dieu des fantasmes, que ce soit l’idéalisation mièvre de l’amour non-violent dans sa compréhension contemporaine, ou à l’inverse, la présentation de pulsions vengeresses grimées en justice sacrée. La croix n’est jamais simplement un cas particulier d’une logique intramondaine

Inspiration écossaise…

Comment donc cette mosaïque d’images dispersées dans l’Écriture peut-elle être pensée de façon plus systématique sans être réduite à une rationalisation qui la dénaturerait ? La contribution d’un théologien écossais du XXe siècle, T.F. Torrance1, nous paraît pouvoir inspirer nos lecteurs dans cet effort d’intégration qui vise à penser la croix à partir des données scripturaires, et à l’aide des ressources théologiques que constituent les élaborations doctrinales sur l’œuvre de la rédemption. Torrance propose de retenir trois grandes dimensions de l’œuvre de la croix, qui permettent de faire ressortir les nuances et la richesse de chacun des grands motifs bibliques dans leur distinction et leur recoupement. Les trois dimensions sont nécessaires pour ne pas dévier de la Révélation. Il associe par ailleurs chaque dimension à un terme biblique (de l’Ancien Testament) et à l’un des trois « offices » de Christ (munus triplex) que la théologie réformée classique discerne. Les trois dimensions sont nécessaires pour ne pas dévier de la Révélation.

Trois préalables indispensables

Avant de présenter les catégories de Torrance (en les adaptant), il faut rappeler que ces dimensions sont ancrées dans trois fondamentaux indispensables pour saisir ce qui s’est passé à Golgotha :

Le caractère Trinitaire de l’action de Dieu en Jésus-Christ : Dieu le Père a envoyé son Fils pour sauver le monde. Mais le Fils, partageant le même projet que le Père, se donne lui-même (Jn 10.18 ; Ep 5.2) à Dieu pour les hommes. C’est enfin l’Esprit Saint qui conduit le Fils dans toute son incarnation, jusque sur la croix (Lc 3.22 ; 4.18 ; 23.46).

L’amour premier et préalable du Dieu Tri-Un pour les hommes. C’est parce que Dieu aime le monde que le Christ meurt (Jn 3.16). La croix n’est pas l’événement qui permettrait au Père d’aimer les hommes ! C’est parce que Dieu aime les hommes, même pécheurs, parce qu’il désire les faire entrer en communion avec Lui qu’il se donne dans le Fils pour les sauver, les délivrer et enlève l’obstacle du péché. La croix n’est pas l’événement qui permettrait au Père d’aimer les hommes !

Enfin, c’est dans le cadre (large) de dispositions d’alliance que Dieu intervient. Bien sûr, il y a un caractère totalement gratuit dans le don du Fils. Il n’avait aucune obligation ou nécessité de sauver l’homme. Mais ce don, jusqu’à la mort, est conforme à Son caractère. Le Père aimant est généreux, donne, se donne et pardonne avec une fidélité sans faille à son alliance. D’autre part pourtant, dans le cadre de la relation d’alliance, la relation entre l’homme et Dieu implique, du côté de l’homme, un engagement manifesté par l’obéissance à la loi divine, contredite en permanence par le péché que sanctionne cette loi en retour. Le Nouveau Testament semble faire de la notion d’alliance une structure anthropologique, inscrite dans l’humanité (Rm 2.14s ; Ga 4.1-5 ; Ep 2.15 ; Col 1.20), même si ses modalités particulières et explicites dans l’alliance avec le peuple d’Israël restent distinctives.

Délivrance

Torrance qualifie la première dimension de « dramatique ». Elle considère l’histoire du monde sous l’angle du drame de l’esclavage du péché, rassemblée autour du verbe « racheter » ou « délivrer » (פדה). Jésus est le vrai Roi qui rachète son peuple par une action définitive à la croix. S’intègrent à cette dimension tant les références à la délivrance de l’exode, que la victoire de la justice divine sur l’injustice du péché, ou encore la victoire du juste juge qui vient rétablir le droit et la justice en anéantissant les puissances hostiles dans un combat final. Cette dimension dramatique rappelle également que c’est Dieu seul qui prend l’initiative de sauver l’homme pécheur, sans aucune contribution humaine. On note enfin l’importance que l’approche dramatique attribue à la fonction de juge et de roi conférée à Christ, qui sauve (action unilatérale) par une action de jugement : Le diable est vaincu, jugé (Jn 12.31 ; 16.11). Les ténèbres lors de la croix (Mc 15.33 et //) tout comme les secousses sismiques rapportées par Matthieu (Mt 27.51) évoquent le caractère de jugement eschatologique de l’événement de la croix. Le thème du « christus victor », même s’il n’explique pas forcément les modalités précises de la victoire, valorise l’approche dramatique. Cette dimension dramatique rappelle également que c’est Dieu seul qui prend l’initiative de sauver l’homme pécheur, sans aucune contribution humaine

Expiation

La seconde dimension est « cultuelle-forensique ». Elle renvoie les relations entre l’homme et Dieu au cadre de l’alliance qui, un peu à l’image du mariage, comprend des éléments très personnels (relation, amour, intimité…) et plus « institutionnels-juridiques » (un cadre, des obligations, une loi, des règles). À la croix, Christ satisfait aux exigences de la Loi en assumant ses conséquences à la place des pécheurs (2 Co 5.21 ; Ga 3.13), tout comme la figure du Serviteur présentée prophétiquement en Ésaïe 53 assume les fautes du peuple (Es 53.6 ;11-12) dans son sacrifice (un « sacrifice pour le péché » Es 53.10 ; voir Lv 5,19). Le verbe hébreu (כפר) souvent traduit par expier, et l’office de grand-prêtre assumé par Christ (particulièrement exposé dans l’épître aux hébreux) caractérisent cet aspect. Dieu désirant sauver l’humanité choisit de satisfaire lui-même, en la personne de son Fils, les exigences de la justice exprimées par la loi. Exprimé sous l’aspect plus personnel de l’alliance, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de Christ pour une nouvelle relation (Rm 5.10 ; Ep 2.16).

Le caractère sacrificiel, substitutif et pénal de la mort de Jésus a été particulièrement développé dans la doctrine classiquement protestante de la substitution pénale, qui souligne que la dette est payée, la justice rendue, ouvrant une nouvelle ère pour l’homme sauvé. Dieu désirant sauver l’humanité choisit de satisfaire lui-même, en la personne de son Fils, les exigences de la justice exprimées par la loi

Rachat

Enfin, plus originale est la troisième dimension, que Torrance appelle « ontologique », et qui souligne le caractère personnel et incarné de l’œuvre de la croix. Il recourt à la figure vétéro-testamentaire du Rédempteur (גֹּאֵל) qui, en vertu d’un lien de sang, vient secourir son parent réduit à l’esclavage à cause de ses dettes en le rachetant, ou prend sa place pour assurer sa descendance suite à un décès prématuré. La compréhension de l’œuvre de la croix est intimement liée à la personne même de Christ, le Dieu-homme, notre Rédempteur. Le Fils éternel s’est fait homme, se liant « ontologiquement » à nous en assumant la nature humaine. Il est donc non seulement le Prophète, mais le Message, Dieu qui se fait connaître tout en révélant l’homme selon le projet de Dieu. C’est évidemment essentiel pour rappeler que ce n’est pas un tiers qui a payé la dette du péché, mais Dieu lui-même, se faisant en Christ solidaire de l’humanité. 

Christ est Celui qui prend fait et cause pour l’humanité déchue, et qui en est le plus grand défenseur par son œuvre d’expiation, ou mieux: en étant lui-même l’expiation (1 Jn 2.1-2; cf. 2 Co 5,21). Cette solidarité de sang avec les hommes est particulièrement soulignée dans l’épître aux hébreux (Hé 2.10-18) pour évoquer tant la libération que l’expiation. Elle nous renvoie, en retour, au fait que Celui qui est Seigneur et qui règne, est un homme, qui, en raison de ce qu’il a fait pour nous (la mort) est aussi notre modèle (1 P 2.21-25), associant la dimension substitutive (exclusive) et la dimension exemplaire (solidaire-inclusive). Elle rappelle donc également que nous sommes morts avec Christ au péché, intégrés dans son œuvre (Rm 6.3s ; Col 2.20). Cette dimension ouvre à la profondeur existentielle, personnelle et relationnelle de la rédemption en Christ. La compréhension de l’œuvre de la croix est intimement liée à la personne même de Christ, le Dieu-homme, notre Rédempteur.

L’articulation et l’équilibre entre ces trois dimensions, qu’il faudrait développer bien plus, nous ouvre des voies possibles de sortie de ces oppositions stériles entre modèles réducteurs, pour entrer dans la contribution féconde de modèles plus complémentaires, qui permet une pensée plus riche, plus équilibrée, résonnant surtout bien mieux avec le kaléidoscope de la croix qu’offre l’Écriture pour produire, par l’Esprit, une réponse de reconnaissance en parole et en acte, conformément à sa volonté.

Réinvestir la doctrine de l’œuvre de Christ

par matthieu gangloff

Quelques pistes concrètes en lien avec notre piété personnelle

Même pour celui qui a grandi dans une famille chrétienne et entendu parler de la croix dès son plus jeune âge, bien des choses encore à découvrir. L’exposé ci-dessus de Jacques Nussbaumer montre que l’œuvre de notre sauveur est un diamant aux multiples facettes. Il y a donc toujours à découvrir, à saisir à nouveau, à approfondir.

Au cœur de la vie du chrétien, le salut offert par Christ, par le moyen de la substitution pénale, souligne que la dette est payée, la justice rendue, et permet d’entrer dans une nouvelle manière de vivre le quotidien, à l’ombre de la croix et dans la lumière de la résurrection. Cette œuvre change tout ! Et cette oeuvre change la manière de vivre sa foi au quotidien. « Pendant tout le Moyen Âge, la conviction générale [a été] que la justification du pêcheur et l’aboutissement (éventuel) de toute une vie d’efforts pour croître dans la vie spirituelle. La sanctification précède donc la justification. La découverte de Luther, c’est que la justice de Dieu (Rm 1.16,17) n’est pas celle que nous pouvons acquérir par nos efforts, mais celle dont Dieu nous revêt à la suite de notre acte de foi, en la mort rédemptrice du Christ. La sanctification suit la justification.2»

La peur, l’angoisse de la mort et du rejet de Dieu fait désormais place à une paix profonde, une assurance, une certitude d’être aimé, non en vertu de privilèges ou de mérites, mais par la grâce seule. « Le rapport au Christ est […] un rapport de foi, confiante et non de tourments, constant des consciences […] nous sommes maintenant centrés sur la promesse et non sur nous-mêmes3».

Cela donne au chrétien un motif inépuisable de louange et de reconnaissance et le pousse également à l’action. « Le chrétien accompli toute chose, joyeusement et librement, non pour accumuler, nombre de mérite et de bonnes œuvres, mais parce que pour lui, c’est une joie que de plaire ainsi à Dieu, et il sert Dieu purement, gratuitement4». Ce salut acquis à si grand prix mais offert par grâce réoriente toute la vie du chrétien, qui désormais conformer sa vie à la seule volonté de celui qui a tout donné par amour. B. Huck avertit : « Le salut par la foi ne doit pas devenir un oreiller de paresse. C’est une grande tentation. Il doit stimuler l’effort, la discipline, la progression dans les vertus, comme l’affirme si bien 2 Pierre 1.3-75».

Quelques pistes concrètes pour l’Église communauté

La grande variété des motifs devrait être utilisée pour enrichir la compréhension de l’œuvre de la croix. Sans jamais perdre ou diminuer l’un d’entre eux, il s’agit de mettre à l’honneur un des éléments pour transmettre une vision toujours plus équilibrée de cette œuvre. Une telle pratique peut trouver sa place au moment de la Cène, qui semble être le lieu privilégié pour méditer sur le sens de la croix. Des livres comme La Croix de Jésus-Christ, de John Stott ou encore le Mal et la croix d’Henri Blocher peuvent être des aides précieuses pour enrichir l’Eglise d’une compréhension renouvelée et d’une adoration puisant sa source dans tous ces motifs.

Par ailleurs, l’Eglise doit incarner l’Evangile, avec l’ensemble de ces motifs. Et certains sont éxigeants et nécessitent une pastorale particulière qui insistera aussi bien sur l’enseignement que sur l’accompagnement pour vivre ces motifs. Ainsi, les thématiques de réconciliation, de pardon, et de relations transformées devraient apparaitre plus souvent dans la vie des communautés, appelées à être porteuses de paix.

Dieu a choisi la méthode de l’incarnation pour faire resplendir son amour et sa grâce, et l’Eglise devrait incarner le Dieu qui s’est incarné, en agissant comme lui, par amour, au point de renoncer à ses privilèges (Philippiens 2) et à donner sa vie, et pas uniquement le superflu de son confort. Les appels à aimer les plus fragiles en se détournant du mal sont nombreux dans le texte biblique. Ainsi le prophète interpelle :

Lavez-vous donc, purifiez-vous, écartez de ma vue vos méchantes actions et cessez de faire le mal. Efforcez-vous de pratiquer le bien, d’agir avec droiture, assistez l’opprimé, et défendez le droit de l’orphelin, plaidez la cause de la veuve ! 

Esaïe 1.16-17

A nouveau, notre théologie doit être un aiguillon pour réformer nos pratiques. L’amour communautaire ne peut donc pas se contenter d’un rayonnement local, à l’intérieur de ses murs, mais devrait être partagé au monde. Mais ne pouvant assumer tous les enjeux, c’est devant le Seigneur lui-même que l’Eglise devrait se tenir pour discerner ce qu’il attend de son Eglise locale.

Quelques pistes concrètes au niveau de l’Église universelle

Ce qui est vrai à l’échelon local l’est également au niveau mondial. L’Eglise occidentale oublie probablement un peu vite que c’est pour l’Eglise (Une) que Christ a donné sa vie (Eph 5.25). Par amour, l’Eglise locale devrait donc penser plus large. « L’Esprit, qui anime l’Église par la Parole, lui fait […] des dons par divers ministères qui y émergent et s’y déploient, dont le ministère de pasteur. Bien que provenant de la vie de l’Église locale, ces ministères sont donnés à l’Église une (Ép 4.11-12), et pas nécessairement pour cette Église locale seulement6 ».

Il est impératif de penser l’Eglise au-delà de sa simple réalité locale, pour pouvoir vivre, le projet du Dieu trine. Il ne s’agit pas que d’efficacité à une période de crise des vocations, mais d’une nécessité qui s’impose théologiquement. Christ est mort pour l’Eglise Une. Comment pourrions nous délaisser cette réalité pour nous focaliser uniquement sur nos intérêts personnels et locaux ?

Il y a donc un enjeu stratégique d’investir des lieux comme le Réseau FEF, le CNEF, mais aussi plus largement le mouvement de Lausanne, toutes ces instances qui cherchent à mettre en lien les acteurs et à travailler en bonne intelligence pour l’évangélisation du monde dans toutes ses dimensions. C’est parce que le Fils partageait le même projet que le Père qu’il s’est donné lui-même. Nous sommes appelés collectivement à entrer dans le projet de Dieu, et à vivre l’Eglise ! Vraiment.

Ainsi, et dans la lignée de ce qui précède, en tant que chrétien, nous sommes invités à assumer que l’on puisse insister plus sur un angle de la croix, sans s’en offusquer, même si nous sommes plus familiers avec un autre angle. Nous pouvons nous réjouir ainsi, comme Barnabas en Actes 11.23, de découvrir d’autres manières de revisiter l’œuvre de la croix dans des cultures (ethniques ou ecclésiales) et nous émerveiller de la richesse du diamant multifacettes de l’œuvre de Christ.

Quelques pistes concrètes au niveau des ministères

L’œuvre de Jésus est au cœur de l’histoire biblique, elle devrait donc aussi être au cœur de nos ministères. En premier lieu dans le cadre du ministère de la prédication, il faut continuer d’insister sur le fait que les prédications ont à porter le message de la rédemption, avec toutes ses facettes. De même, les activités jeunesse doivent poursuivre le travail de remise au centre de l’œuvre de Christ dans les animations et les messages partagés. Le chemin semble un peu plus hardu en ce qui concerne les clubs d’enfants et écoles du dimanche, où les histoires bibliques racontées sont parfois terriblement déconnectées de l’œuvre de Christ. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre l’histoire de l’arche de Noé, de dessiner des animaux, mais de ne faire aucun lien avec Christ comme étant notre arche face au péché…

Ensuite, pour vivre et partager l’œuvre de la croix, il s’agit de réfléchir hors du cadre des activités ecclésiales. Alors, que le travail pastoral peine parfois à se frayer un chemin entre les demandes multiples de l’Eglise qui invitent les responsables à faire du coaching, de la coordination d’activité, de la communication, de l’animation, et tant d’autres choses, on oublie parfois l’essentiel. Ce ministère, en crise7, ne devrait pas être réduit comme le propose Raphaël Picon8. Il s’agit plutôt de changer la vision des Églises de culture pastorale qui n’insistent pas assez sur la multiplicité des ministères, et qui à terme n’ont plus d’autre choix que de réduire la charge pastorale en enlevant des facettes à ce ministère. Il s’agit aussi de questionner le glissement des Eglises dites originellement de frères (dont une partie du Reseau FEF est issu) qui tendent vers ce modèle pastoral pour « décharger » les membres, et qui tôt ou tard sera aussi confronté à la même problématique de crise des vocations.

Car en réalité, il conviendrait plutôt pour les responsables d’équiper les uns et les autres à être porteurs d’Evangile dans le monde du travail et dans leur quotidien. Ici aussi notre vision ecclésio-centrée et trop localement centrée perd de vue, un peu vite, sa responsabilité envers le monde que Dieu aime. A titre d’exemple, « les jeunes de nos Eglises se forment de mieux en mieux et il y a des talents qui sommeillent. Un jeune doué dans la gestion financière n’est pas appelé à ne gérer que le budget de l’association culturelle !  Associé à d’autres compétences, comme des centres sociaux, des œuvres d’accueil ou des fondations…, des entreprises à l’éthique vertueuse pourraient naitre !9» L’Evangile de la croix ne s’entend (heureusement) pas que dans l’Eglise locale, et pas uniquement par la prédication dominicale. Même si cette dernière joue un rôle décisif, il convient de faire de la place pour que d’autres ministères se développent (et puissent être financés), pour que l’Evangile puisse rayonner dans toutes les sphères de la société.

Dans la forme enfin, les ministères doivent suivre l’exemple de Christ en croix. Comme le disait John Stott, « aucun homme ne peut donner l’impression à la fois qu’il est lui-même intelligent et que Christ est puissant pour sauver10». 

Quelques pistes concrètes pour vivre cette doctrine dans notre rapport au monde

Les diverses images de l’œuvre de la croix permettant de comprendre l’œuvre unique et incomparable accomplie par Christ sont précieuses pour partager l’Evangile à d’autres. C’est ici tout l’enjeu missiologique de la contextualisation. Avec ces différents motifs, il s’agit d’adapter l’Évangile pour que la personne qui le reçoit puisse le comprendre, sans jamais compromettre l’essentiel du message. La richesse de la Bible, nous permet d’envisager ce travail exigeant avec une certaine confiance. Inspirée de Dieu dans sa totalité (2 Tim 3.16), elle rend parfaitement compte de l’œuvre de la croix à travers des images qui rejoignent la variété des cultures, des milieux et des personnes. Or ce défi de la contextualisation est un défi majeur pour les Eglises11.

Par ailleurs, le mouvement de Lausanne a rappelé ces dernières décennies que la réconciliation avec Dieu est inséparable de notre réconciliation les uns avec les autres. Le Christ, qui est notre paix, a fait la paix par la croix et a prêché la paix au monde divisé entre Juifs et non-Juifs. Selon Ephésiens 4, l’unité du peuple de Dieu est à la fois un fait («il a instauré l’unité») et une mission («efforcez-vous de conserver l’unité que donne l’Esprit, dans la paix qui vous lie les uns aux autres»). Ainsi, la réconciliation ethnique de la nouvelle humanité de Dieu est un modèle du plan de Dieu pour l’intégration de toute la création dans le Christ. Beaucoup de théologiens récents ont réaffirmé cette notion. NT Wright, Lucy Peppiat en particulier ont démontré de manière convaincante que l’Evangile modifie les manières de vivre les relations dans le corps de Christ. Il suffit de penser à Philémon avec son esclave Onésime qu’il doit désormais acccueillir comme un frère.

Les chrétiens qui, par leur action ou leur inaction, brisent encore plus un monde déjà brisé, minent sérieusement notre témoignage pour l’Évangile de la paix. Il convient donc ensemble, de prendre un engagement en faveur de la réconciliation et de la paix. Pour le dire autrement, si l’Évangile ne s’enracine pas profondément dans le contexte, s’il ne remet pas en question, pour les transformer, les visions du monde et les systèmes d’injustice sous-jacents, alors, quand viendront les jours mauvais, l’allégeance chrétienne sera abandonnée comme un manteau encombrant et les gens se tourneront vers des loyautés et des actions qui ne portent pas la marque de la régénération. (Covid a réveillé ce genre de séparations). Ainsi, une évangélisation sans formation de disciples, ou un réveil sans obéissance radicale aux commandements du Christ, ne sont pas seulement insuffisants, ils sont dangereux12.

Cela pousse à un engagement difficile, celui d’adopter un style de vie de réconciliation, mis en évidence quand les chrétiens pardonnent à ceux qui les persécutent, tout en ayant le courage, en prenant leur défense, de mettre en cause l’injustice subie par d’autres ; quand ils apportent leur aide et offrent l’hospitalité à leurs prochains «de l’autre bord» d’un conflit, en prenant l’initiative de franchir les barrières pour chercher la réconciliation ; quand ils continuent de rendre témoignage au Christ dans des contextes violents; et sont prêts à souffrir, voire à mourir, plutôt que de participer à des actes de destruction ou de vengeance ; quand ils s’engagent, après le conflit, dans le long processus de guérison des blessures infligées, faisant de l’Église un lieu sûr de refuge et de guérison pour tous, y compris les anciens ennemis.

Cet Évangile oblige aussi à aller vers les victimes de la pauvreté et de l’oppression, vers les personnes porteuses de handicap, les porteurs du virus VIH, les personnes migrantes, et bien d’autres qui ont toutes été aimées par notre Seigneur.

«Nous sommes… comme le parfum du Christ» (2 Cor 2.15). Nous sommes appelés à vivre et à servir […] d’une manière tellement saturée du parfum de la grâce de Dieu qu’elles sentent l’odeur du Christ, qu’elle parviennent à sentir et goûter que Dieu est bon. Par un tel amour concrétisé, nous rendons attractif l’Évangile dans toutes les cultures et tous les cadres religieux13.».

Sommaire Confession de foi pratique

Notes de bas de page
  1. Thomas F. Torrance, Atonement : The Person and Work of Christ, Downers Grove, IVP, 2009 ↩︎
  2. Bernard Huck, « Exercices spirituels et piété évangélique », dans Jacques Bucchold (ss dir) La spiritualité des chrétiens évangéliques, vol 2, Edifac-Excelsis, 1998, p. 88. ↩︎
  3. Bernard Huck, « Exercices spirituels et piété évangélique », dans Jacques Bucchold (ss dir) La spiritualité des chrétiens évangéliques, vol 2, Edifac-Excelsis, 1998, p. 90. ↩︎
  4. Bernard Huck, « Exercices spirituels et piété évangélique », dans Jacques Bucchold (ss dir) La spiritualité des chrétiens évangéliques, vol 2, Edifac-Excelsis, 1998, p. 91. ↩︎
  5. Bernard Huck, « Exercices spirituels et piété évangélique », dans Jacques Bucchold (ss dir) La spiritualité des chrétiens évangéliques, vol 2, Edifac-Excelsis, 1998, p. 93. ↩︎
  6. Théologie évangélique, vol. 22, n° 2, 2023, p.120 ↩︎
  7. Cf. Christophe Paya, «  repères de théologie pratyique 1 », dans ThEv vol. 6.3, 2007, p. 245-253 ↩︎
  8. Raphaël PICON, Ré-enchanter le ministère pastoral. Fonctions et tensions du ministère pastoral, Lyon, Olivétan, 2007, 85 p. ↩︎
  9. M. Gangloff, « Bientôt Lausanne IV », dans newsletter CAEF 18 septembre 2023, consultable sur https://enews.caef.net/?p=2026 ↩︎
  10. John Stott, Between Two Worlds: The Art of Preaching in the Twentieth Century, p.325 ↩︎
  11. Cf. Christoph Paya, « le défi de la contextualisation », https://www.lecnef.org/articles/69055-1-5-le-defi-de-la-contextualisation ↩︎
  12. Déclaration du cap, https://lausanne.org/fr/mediatheque/engagement-du-cap ↩︎
  13. Déclaration du cap, https://lausanne.org/fr/mediatheque/engagement-du-cap ↩︎

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